LETTRE XXXV
Jérusalem,
troisième matin après la crucifixion.
Mon cher père,
C’est maintenant l’aube, et je me suis levée tôt, étant donné que je dois quitter la ville aujourd’hui, avec mon oncle Rabbi Amos et toute la famille, pour aller à Béthanie en vue d’échapper aux Juifs qui, malgré l’assurance donnée par Caïphe, cherche diligemment à arrêter tous ceux qui, à Jérusalem, suivaient le Prophète tué. Comme une heure ou deux doivent s’écouler avant que tout soit prêt pour notre départ en sûreté, je vais occuper cet intervalle de temps à compléter mon triste récit de la crucifixion de Jésus, spécialement comme Rabbi Amos, voyant que j’ai pris grand soin, jusqu’ici, de raconter toutes choses Le concernant, désire que je n’omette aucun détail ; comme mon récit peut plus tard être commode pour s’y référer, et qui peut être envoyé à Rome en accusation de sédition. Je sens que mes pauvres lettres, cher père, sont seulement valables pour toi, et pour ceux que j’aime ; mais, si elles peuvent aider à expliquer quelque chose pour la disculpation de pauvres Nazaréens qui sont maintenant si méprisés et pourchassés avec vigilance, elles sont même au service du puissant Tibère lui-même. Leur unique mérite est l’exactitude des détails et la vérité, aussi loin que les circonstances me rendent capables de m’assurer de la vérité.
Alors que je reprends ma plume, par la faible lumière de l’aube, pour continuer les détails de la crucifixion du malheureux fils de Marie, qui, veuve et sans enfant, demeure encore avec nous, pleurant sur la tête de son fils, mon cœur involontairement répugne du douloureux sujet et saigne de plus belle. Mais il y a une fascination associée à tout ce qui Le concerne, même maintenant qu’Il est mort et s’est avéré Lui-même un faible mortel comme tous les hommes, qui me pousse à écrire de Lui et qui remplit mes pensées uniquement de Lui.
Je viens juste de faire allusion à sa très affectée mère. Hélas ! il n’y a pas de consolation pour elle. Sa perte n’est pas comme celle des autres mères. Son fils ne lui a pas seulement été enlevé par la mort, mais est mort ignominieusement sur une croix romaine, exécuté entre deux vils malfaiteurs, comme si Lui-même était le plus grand des criminel des trois ; et non seulement ceci, mais exécuté comme un faux prophète – comme un trompeur d’Israël – avec, sur ses lèvres, un millier de brillantes promesses de la gloire future de Judée à travers Lui ; qui maintenant, comme sa mort le prouve, étaient de vaines promesses et qu’Il les fit pour la réputation temporaire d’attirer tous les hommes après Lui. Elle pleure ainsi, non comme d’autres mères et refuse d’être consolée.
Cependant son amour pour son fils – cet impérissable amour maternel, qui semble immortel dans sa nature, n’est pas enterré avec Lui. Elle vient juste de sortir, secrètement, avec les très chères Marie et Marthe, avant que les Juifs ne soient réveillés, pour accomplir la dernière tâche à son corps mort, avant que nous partions tous pour un refuge à Béthanie. Elles ont pris des épices, de la myrrhe, et de l’aloès et des herbes douces en vue d’embaumer le corps ; car sa mère espère obtenir la permission de Pilate de le déplacer un certain temps vers Béthléem, pour être déposé dans la tombe de ses pères. Jusqu’à ce qu’elles retournent de leur triste mission d’amour, je vais continuer mon sujet – la crucifixion !
Quand le Centurion, à qui fut confié par Pilate, la charge de conduire la crucifixion de Jésus, donna des ordres pour L’attacher aussi à la croix, qui était posée par terre, semblable à un autel attendant sa victime, les quatre soldats Parthes, ses brutaux crucifieurs, Le tinrent et commencèrent à Le dépouiller de ses vêtements, car ses ennemis Lui avaient remis ses propres vêtements quand ils L’avaient conduit hors du Hall de Pilate. Il portait un manteau, tissé sans couture par Marie et Marthe, et qui avait été un cadeau à Lui par les sœurs, comme un signe de leur gratitude pour la résurrection de la mort de leur frère Lazare.
Quand je les vis ôter cette robe, qui était une visible attestation de son premier pouvoir sur la mort, je ne pus pas croire qu’Il pouvait être tué Lui-même, mais qu’Il allait encore échapper, par quelque puissant miracle, à ses ennemis et, les dispersant comme de la poussière devant le vent, se proclamer, avec puissance, le vrai Fils de Dieu ! Mais quand j’aperçus qu’Il se tenait calmement et avec tristesse, les laissant faire ce qu’ils voulaient, je perdis tout espoir et me tournai ailleurs en pleurant. Sa mère, soutenue par Jean, ne pouvait plus regarder son fils et fut emmenée au loin, criant de façon poignante ; “oh que je n’entende pas le fracas des clous dans ses pieds et ses mains ! Mon fils – mon fils ! Oh, si tu voudrais maintenant prouver à ta mère que tu es un vrai prophète !”
“Que signifie ce gémissement ?” cria le féroce Abner “qui est cette femme ?”
“La mère de Jésus” répondis-je de façon indignée.
“La mère du blasphémateur. Qu’elle soit maudite !” cria-t-il d’un ton sauvage ; “tu vois, femme, quelle est la fin d’amener un imposteur, à blasphémer Jéhovah et le Temple. Tes espoirs et les siens, o malheureuse femme, ont misérablement péri, ce jour ! Ainsi meurent tous les faux Christs et faux prophètes ! Tu vois, s’il était le Christ, il ne se tiendrait pas là, et ne serait pas crucifié comme un ordinaire malfaiteur !”
Marie cacha sa face dans ses mains et pleura sur mon épaule. Je ne pouvais pas regarder vers l’endroit où Jésus se tenait. Je redoutais d’entendre le premier coup sur les terribles clous, et comme elle boucha ses oreilles, j’aurais bouché les miennes aussi, mais mes mains la soutenaient. Je pouvais entendre les terribles préparations – le cliquetis de la corde ferme, au moment où ils L’attachaient à la croix, et les voix basses, vives des quatre Parthes affairés, et ensuite le tintement des clous ; et enfin un silence semblable à celui de la tombe ! Soudain un coup de marteau rompit le moment de suspense ! Un cri perçant éclata de l’âme de la mère, qui fit écho de tous côtés parmi les tombes de Golgotha !
Je ne pus voir – entendre davantage !
Jean ayant laissé la mère affligée avec moi, Lazare et lui étaient retournés où l’on dévêtissait le Prophète, en vue de L’attacher au bois. Ils captèrent les yeux de leur Maître, dit Lazare, qui les regarda calmement et affectueusement. Ils dirent qu’ils ne L’avaient jamais vu paraître si grand et si majestueux auparavant ! Il paraissait, comme le dit le Centurion plus tard “comme un dieu s’abandonnant lui-même à la mort pour la sécurité de son univers !”
“Rien sauf la folie féroce de principaux sacrificateurs et des Juifs” ajouta Jean “pouvait les avoir empêché d’être étonnés par la majesté de sa présence. Et, en outre, il y avait sur son front un courage héroïque, avec une certaine divine humilité et résignation. Ni les mains rudes des soldats barbares, ni de l’indignité d’être déshabillé devant les yeux des milliers, ni la vue de sa croix ou des voleurs cloués et se tordant de douleur sur les leurs, ne L’amenèrent à se séparer par le regard ou l’allure, de cette dignité céleste qui, à travers tout, ne L’avait jamais quitté.”
“Il ne fit aucune résistance” continue Jean, qui me dit ce qui suit “quand Il fut attaché sur la croix, mais se résigna, passivement, entre les mains de ses exécuteurs, comme un agneau recevant sa mort. ‘Père’ dit-Il, levant ses yeux saints vers le ciel, ‘pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font’. Mais son âme héroïque ne pouvait pas empêcher les émotions naturelles de l’humanité à la douleur. Les clous perçants, déchirant sa chair tendre, la firent frémir et Le rendirent blême, pendant qu’un profond soupir s’échappait de sa poitrine au moment où Il entendit le cri de sa mère. Contrairement au voleur, Il ne résista pas ; contrairement au second, Il ne fut pas indifférent ; mais Il rencontra son destin comme un homme qui ne craint pas la mort, cependant qui ne la brave pas !
“Quand ils clouèrent ses pieds au bois de grosses gouttes de sueur apparurent sur son front” ajouta Jean, qui resta près pour voir son Maître mourir et pour Le consoler et Le fortifier ; “et quand les quatre hommes Le Soulevèrent du sol avec la croix, et laissèrent l’extrémité s’enfoncer dans un trou d’un pied de profondeur, le choc, amenant tout son poids sur les clous dans ses mains, déchira et lacéra celles-ci, disloquant presque les épaules au même instant, pendant que chaque tendon et chaque muscle de ses bras et poitrine étaient tendus comme des cordes, pour soutenir ce poids inhabituel qui était sur eux. Le premier voleur s’évanouit suite à la douleur due au choc causé par l’implantation de sa propre croix ; et le second, calme et défiant comme il l’avait été, émit un fort cri d’agonie. Mais Jésus n’émit aucune plainte, quoique la pâleur surnaturelle de sa mine montrait combien inexprimable fut sa torture.”
Ah, mon cher père, je tirerais un voile sur cette scène – car c’est trop – trop douloureux pour moi de rester là dessus. Jusqu’à la fin, Jean croyait que son Maître n’allait pas mourir – qu’Il ne pouvait pas souffrir ! Mais quand il vit comment la douleur et l’angoisse pesaient lourdement sur Lui, et comment Il souffrait comme d’autres hommes, sans pouvoir pour l’éviter, il s’étonna grandement et commença à croire que tous les miracles qu’il L’avaient vu accomplir doivent avoir été des illusions. Il ne pouvait pas concilier le calme et la dignité, l’héroïque sang-froid et l’air d’innocence avec lesquels Il vint à la croix, avec l’imposture ; cependant sa mort allait assurément sceller comme imposture toute sa précédente carrière.
Les trois croix, celle de Jésus au milieu, comme la place du principal déshonneur, étant levés dans l’air et fixées dans les cavités de la roche, le Centurion ordonna que la place adjacente soit dégagée et que les malfaiteurs soient abandonnés pour mourir. Oh, quelle terrible mort pour Jésus ! pour Celui que nous connaissions bien et que nous aimions toujours, quoique Il nous avait trompés. Là, pensions-nous, Il pouvait rester deux ou trois jours, mourant lentement, comme certains l’ont fait, et exposé à l’ardent soleil du jour et aux vents glacials de la nuit, pendant qu’au dessus d’aux planent sur des ailes fermes, les oiseaux sauvages de proie, impatients pour leur fête. Avec sa mère, nous nous approchâmes alors tous de la croix, aussi près qu’il nous fut permis. Jésus tourna alors sa tête vers sa mère et, baissant son regard sur elle avec les plus profonds tendresse et amour, la confia au soin filial de Jean qui pleurait, pendant qu’il la soutenait.
La majeure partie du reste du récit, je l’ai de Jean qui demeura jusqu’à la fin, près de la croix, alors que nous nous étions retirés et tenus au loin, avec sa mère qui pleurait, Marie de Béthanie, Marthe, Lazare et Marie la mère de Salomé et d’autres femmes, nos amies de Galilée, qui avaient aussi l’espérance en Jésus. Là, nous attendîmes, dans l’expectative de Le voir faire quelque puissant miracle à partir de la croix et descendre sans dommage, montrant ainsi au monde, son titre d’être le Messie de Dieu.
Le Centurion ayant placé une garde près des croix, pour empêcher les amis des crucifiés de tenter de les secourir il se tint là à les regarder. Les soldats qui avaient cloué Jésus à l’arbre, commencèrent alors, avec de bruyants jurons, à partager ses vêtements entre eux ainsi que ceux des deux voleurs, ces choses étant, par la loi romaine, les honoraires de l’exécuter. Ce partage ayant été fait après un certain temps, mais non sans une vive discussion et non sans se pointer leurs longs couteaux syriens l’un sur l’autre, ils ne surent que faire du large manteau, sans couture, que les sœurs de Lazare avaient tissé pour l’ami de leur frère, mort autrefois. Un groupe de gardes romaine était assis tout près, à califourchon sur les quatre bras d’une croix tombée, jouant au dé, suggèrent que les Parthes devraient décider par le sort à qui il devrait appartenir. Ces derniers y ayant consenti, prirent la boîte de dé dans leurs mains tâchées de sang et chacun d’eux jeta le dé trois fois. Le nombre le plus élevé revint au plus féroce des quatre types qui, prenant le manteau, l’enroula autour de son énorme forme et, faisant les cent pas devant le peuple, il dit d’une voix forte qu’il était lui-même magicien, et demanda dans sa langue imparfaite et barbare à certains Juifs s’ils aimeraient qu’il prophétise et annonce leurs fortunes. Suite à ceci, ils commencèrent à crier sur lui et à le lapider comme un blasphémateur – et n’eut été l’interposition du Centurion, un tumulte aurait été causé. Le soldat proposa ensuite de vendre le manteau, que Jean avec joie lui acheta à grands prix, au moyen des bijoux de plusieurs femmes qui, avec plaisir, ôtèrent les boucles de leurs oreilles et les bracelets de leurs bras. Moi, je donnai, cher père, l’émeraude que tu achetas pour moi au Caire. Mais je ne pouvais pas voir la robe que Jésus avait portée aussi profanée ; car encore, oh, oui, nous L’aimions encore, même dans sa mort ! La mère de Jésus reçut la robe avec une profonde émotion de gratitude à nous tous. Mais maintenant, mon cher père, comment vais-je décrire les scènes et évènements qui suivirent ?
Environ une heure après que Jésus fut suspendu sur la croix, Aemilius vint de la part de Pilate et apporta l’inscription qu’on a l’habitude de placer au dessus des têtes des malfaiteurs, indiquant leur nom et le crime pour lequel ils sont crucifiés. Au dessus de la tête d’Ishmerai fut écrit en syrianique :
“ISHMERAI, L’EDOMITE,
UN VOLEUR”.
Au dessus de celle d’Omri furent inscrits aussi sur une feuille de parchemin, dans la même langue, son nom et la nature de son crime, qui était le vol et le fait d’avoir répandu le sang dans une sédition dans la ville.
Au dessus de la tête de Jésus, au moyen d’une petite échelle, fut placée cette inscription en grec, latin et hébreu :
“C’EST JESUS,
LE ROI DES JUIFS”.
Quand le méchant Abner lit ceci, il se tourna avec colère vers le Centurion, et Aemilius qui se tenait avec tristesse près de la croix :
“N’écris pas, o Romain, qu’il est ‘Roi des Juifs’ mais qu’il avait dit qu’il était le Roi des Juifs ![1]
“J’ai placé au dessus de lui ce que Pilate a ordonné d’écrire” répondit le Centurion.
Sur ce, Abner monta sur un mulet et se hâta dans la ville chez le Procurateur, et emmena sa plainte devant lui.
“Ce que j’ai écrit, j’ai écrit, Monsieur le sacrificateur” répondit Pilate glacialement, avons-nous appris.
“Mais tu as crucifié cet homme du fait qu’il es notre roi, ce que nous nions !” rétorqua Abner.
“Je prendrai sa parole avant celle de tous les Juifs dans l’empire de César” répondit Pilate avec colère. “Il a dit qu’il était un roi ; et si jamais un roi s’est tenu devant un tribunal humain, j’ai eu un vrai roi devant moi aujourd’hui – et j’ai signé l’autorisation de son exécution. Mais son sang est vos têtes ! Car je fus obligé de poser cet acte ou perdre ma charge de Procurateur ; sinon, vous auriez voulu m’avoir devant César comme un traître. Sors de ma présence Juif ! N’ai-je pas, contre mes propres convictions de justice et d’humanité, consenti à satisfaire votre soif du sang de cette personne innocente ? Que demandes-tu de plus ? N’est-il pas pendu ? Si tu approches davantage de ma présence sur ce sujet, par les dieux de Rome, je vais te crucifier et cent vingt autres ! Je vais entasser une hécatombe à sa crinière.”
Abner quitta sa présence décontenancé et retourna au lieu de crucifixion. Les Juifs, pendant ce temps, se moquaient de Jésus et levaient leurs têtes vers Lui, et Lui rappelaient ses premiers miracles et prophéties :
“Toi qui ressuscita Lazare, sauve-toi de la mort !” dit un pharisien.
“Si tu es le Fils de Dieu, prouve-le en descendant de la croix !” cria Eli, le chef des Sadducéens.
“Toi qui as dit que si un homme gardait tes paroles il ne verrait pas la mort – voyons si tu peux éviter la mort toi-même !” dit Iddo, le chef des Esséniens.
“Il sauva d’autres – lui-même ne peut pas se sauver !” se moqua Ezéchias, un des principaux sacrificateurs.[2]
Aemilius, trouvant impossible de sauver le Prophète de la crucifixion, était sorti pour Le garder des insultes habituelles de la populace, pendant qu’Il mourait. Il avait alors perdu la foi en Jésus comme un Prophète juif mais il l’aimait encore, comme un homme, et Le plaignait pour ses souffrances. Il parla avec Lui et Le pria vivement, alors qu’Il était suspendu, de montrer son pouvoir s’Il était réellement un dieu ! D’abord, Jésus ne fit aucune réponse ; mais un court instant après, Il dit d’une voix faible :
“J’ai soif.”[3]
Le généreux chevalier courut et remplit une éponge avec la préparation de vinaigre et d’hysope, habituellement donnée aux malfaiteurs, après qu’ils aient souffert pendant un temps, en vue de les stupéfier et les rendre insensibles à leurs souffrances.
Pendant qu’Aemilius attachait une éponge, trempée dans un vase de vinaigre, sur un bâton fendu à l’extrémité pour la tenir fermement, Ishmerai, qui tout le temps où il était suspendu, avait émis des exécrations sur ses crucifieurs et sur Pilate, appela Jésus en se tordant violemment :
“Si tu es le Fils de Dieu, sauve toi toi-même et nous ![4] Si tu ressuscita un homme une fois de la mort, tu peux sûrement nous empêcher de mourir ! Tu es un vil malheureux si tu as le pouvoir comme un prophète et tu ne veux pas l’utiliser pour moi, quand tu vois combien je suis lourd de corps, et comment mon poids élevé me torture, avec l’infernal tourment et le déchirement de chaque articulation.”
Mais Omri, réprimandant son copain, dit :
“Ne crains-tu pas Dieu, voyant que tu es dans la même condamnation ? Nous souffrons justement pour nos crimes, et aujourd’hui nous recevons la juste rétribution de nos transgressions ; mais ce jeune homme n’a rien fait de mal, sauf prêcher contre la méchanceté des sacrificateurs, et être plus saint qu’eux. Seigneur, je crois que tu es le Fils de Dieu, personne sauf le Christ pouvait faire les œuvres que tu as faites ou souffrir patiemment comme tu le fais. Seigneur, souviens-toi de moi quand tu viendras dans ton royaume, car je sais que tu iras de ceci, ta croix, à ton trône en haut, et là tu règneras pour toujours et toujours. J’ai écouté ton enseignement sur les bords du Jourdain et maintenant je crois.” [5]
Jésus tourna sa tête blessée vers lui et, avec un sourire d’une gloire ineffable rayonnant de sa face pâle, Il dit :
“En vérité, je te le dis, aujourd’hui, tu seras avec moi au Paradis.”[6]
Sur ce, Omri parut indiciblement joyeux et sembla s’élever au dessus de ses souffrances. L’autre maudit le Prophète à haute voix et grinça des dents envers Lui, avec le regard d’une haine démoniaque.
A ce moment, Aemilius s’approcha avec son éponge qui dégouttait et présenta le bâton aux lèvres desséchées du souffrant Jésus. Quand Il le goûta, Il ne voulut pas le boire, car Il s’aperçut que c’était la drogue habituellement administrée en compassion pour écourter l’angoisse du crucifié.
Le voleur Ishmerai cria alors vivement pour l’éponge négligée et le Préfet donnant le bâton à un soldat, ce dernier le plaça dans la bouche du voleur dont la langue enflée faisait saillie ! Il le but avec une sorte de soif folle. L’autre homme aussi, avec plaisir, apaisa sa brûlante fièvre avec cela et aussitôt après les deux sombrèrent dans l’insensibilité, pendant inconscients de leur situation, et ne montrant aucun autre signe de vie sinon le soulèvement de leur poitrine et, de temps en temps, la contraction involontaire des muscles. Mais Jésus, gardant ses sens dans leur lucidité, souffrit tout cela comme un terrible mort impose à sa victime.
Soudain, juste au moment où la sixième heure sonnait du Temple, par les trompettes des Lévites, le nuage formé par la fumée de nombreux sacrifices, qui était suspendu toute la journée au dessus du Temple, parut devenir tout à coup d’un noir encre et avancer vers le Calvaire, s’étendant de la manière la plus effrayante alors qu’il s’approchait de nous ; et en quelques minutes, non seulement tout Jérusalem, mais le Calvaire, la vallée de Kédron, le Mont des Oliviers, et tout le pays, furent pris dans sa terrible obscurité. Le soleil, qui avait brillé avant avec la splendeur de midi, devint noir comme un sac de cheveux, et une terrible, surnaturelle, indescriptible nuit jeta le monde dans l’ombre ! Du centre du nuage au dessus des croix, s’élançaient des éclairs furieux dans chaque direction. Mais il n’y avait pas de tonnerre les accompagnant – seulement un sépulcral et suffocant silence de mort ![7]
Des milliers qui regardaient la crucifixion, chacun fut alors prostré à terre en terreur ! Jérusalem fut caché de notre ; seul un point furieux de lumière rouge-feu, comme si c’était le terrible œil de Dieu Lui-même, était visible au dessus du Temple, au dessus du Saint des saints. Les croix n’étaient plus visibles, sauf par le terrible éclat des éclairs, brillant violemment du terrible et silencieux nuage. La forme de Jésus, parmi l’universelle obscurité, brillait comme si elle était divinement transfigurée, et un doux halo de lumière céleste encerclait son front comme une couronne de gloire ; pendant que les corps sombres des deux voleurs pouvaient à peine être discernés, sauf par le faible rayonnement émanant du sien.
L’obscurité continuant, plusieurs parmi la foule, à la fin, cessèrent leurs gémissements, arrêtèrent de se frapper la poitrine, et de se déchirer les vêtements, et se levèrent sur leurs pieds mais ne bougèrent pas ; car personne ne pouvait bouger de sa place à cause de la profondeur de minuit des ténèbres ! Les hommes parlaient l’un à l’autre par chuchotement ! Une terreur indéfinie était sur chaque esprit ; car la soudaine extension de l’obscurité était aussi inexplicable que effrayante. Marie, sa mère, et Lazare s’exclamèrent avec crainte, parlant tous les deux en même temps :
“C’est son pouvoir. Il a produit ce miracle !”
“Et nous Le verrons ensuite descendre de la croix” s’écria Rabbi Amos “Prenons courage ; et que ce qui consterne ses ennemis nous remplisse d’une joyeuse expectative.”
Trois heures – pendant trois longues et terribles heures, cette lumière surnaturelle continua ; et pendant tout ce temps, la vaste multitude demeura sans mouvement, se plaignant, attendant elle ne savait quoi ! A la fin, le nuage s’en alla de dessus la croix avec un fort coup de tonnerre, pendant qu’une douche de terrible éclairs tombait, comme des lances de feu, tout autour de la forme de Jésus qui, immédiatement perdit son halo et son éclat translucide. Sa face, au même moment, commença à avoir une impression du plus intense chagrin de l’âme, et Il sembla, à tous les yeux, être le point central de cette violente colère des cieux.
Une centaine de voix s’exclamèrent avec horreur :
“Voyez ! Il est abandonné et puni par le Tout-Puissant !”
Nous mêmes fûmes étonnés et consternés. Nos espoirs naissants furent anéantis par les furieux éclairs qui semblaient L’anéantir ! Le ciel, aussi bien que l’homme, semblait combattre contre Lui ! Sa mère émit un gémissement d’agonie et s’écroula à terre, convaincue que son fils était réellement maudit de Dieu. A ce moment, comme si pour confirmer toutes nos craintes, Il cria, dans la langue hébreu, d’une voix forte qui, romain sur la citadelle. :
“Eloï ! Eloï ! Mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ?[8]
Sur ce, certains, plaignant ses souffrances, coururent pour Lui donner du vin et de l’hysope pour les calmer.
“Non, laissez-le vivre – voyons si Elie Le sauvera” répondit Abner “Il a appelé Elie le Prophète !”[9]
Tout à coup, l’obscurité, qui avait rempli tout l’air, sembla se concentrer et se rassembler autour de la croix si bien que Lui, qui y était pendu, devint invisible. Du milieu de cette obscurité, sa voix poignante fut une fois encore entendue aussi claire et forte que quand elle courait par dessus les eaux de Galilée quand Il prêchait d’une barque aux milliers qui affluaient sur le rivage :
“C’est fini ! Père, entre tes mains, je remets mon esprit !”[10]
Au moment où Il prononça ces mots, une gloire surnaturelle brilla autour de Lui et avec un profond soupir, Il inclina sa tête sur sa poitrine et rendit l’esprit !
L’exclamation générale de surprise qui suivit ces claires sons de trompette, fut tout à coup secouée par un terrible tremblement de terre sous nos pieds, si bien qu’un grand nombre de gens fut jeté à terre ; les rochers du Calvaire furent arrachés et projetés en l’air pendant que toute la ville était secouée par des douleurs convulsives d’un tremblement de terre. Le Temple sembla en feu, et au dessus de son pinacle apparut une épée flamboyante, qui nous sembla séparer les murs à leurs fondations. Et pendant que nous regardions, l’épée se transforma en forme d’une croix d’une éblouissante lumière se tenant haut dans l’air, au dessus de l’autel ; et de ses rayons dorés, elle déversa une lumière si brillante que tout Jérusalem et le pays des collines, sur une vaste étendue devinrent aussi éclairés qu’à midi. La terre continua toujours à bouger et les sépulcres des rois, avec les tombes des anciens prophètes, furent fendus en deux par de vastes gouffres, et la terre verte fut parsemée des os et corps des morts. Le sombre nuage, qui avait commencé à se former d’abord avec la fumée des sacrifices du Temple, fut alors dissipé par la lumière de la croix ardente et le soleil réapparut. Devant lui la glorieuse vision au dessus du Temple diminua graduellement et disparut. L’ordre naturel des choses revint graduellement ; et les hommes se frappant la poitrine, commencèrent à se diriger vers la ville, remplit de crainte et de terreur de ce qu’ils avaient vu. Le Centurion, qui regardait ces choses, dit à haute voix à Aemilius :
“Cet homme avait dit la vérité. Il était un Dieu !”
“Réellement” répondit Aemilius “ce n’était rien d’autre que le Fils de Dieu – le vrai Christ des prophètes Juifs. Toutes choses dans l’air et sur la terre sympathisent avec sa mort comme si le Dieu de la nature avait expiré.”
Tristes et pleurant, nous quittâmes la lugubre scène nos têtes courbées dans l’abattement et ayant abandonné pour toujours, même pendant que nous nous posions des questions sur ces puissants évènements liés à sa crucifixion, tout espoir que c’était Lui qui pouvait avoir racheté notre nation et restauré la splendeur royale de Juda et le trône de la maison de David.
Je suis, mon cher père, ton affectueuse fille.
Adina.
[1] Jean 19 :21
[2] Matthieu 27 :42 ; Marc 15 :31
[3] Jean 19 :28
[4] Luc 23 :39
[5] Luc 23 :40-42
[6] Luc 23 :43
[7] Matthieu 27 :45 ; Marc 15 :33 ; Luc 23 :44
[8] Matthieu 27 :46 ; Marc 15 :34
[9] Matthieu 27 :47-49 ; Marc 15 :35-36
[10] Luc 23 :46