Le Prince de la Maison de David- Lettre 34

LETTRE   XXXIV

Mon père chéri,

Je reprends maintenant le récit de la condamnation, ou plutôt de la sentence, de Jésus, après qu’Il eut été emmené une seconde fois devant Pilate. Le Procurateur, trouvant que les Juifs voulaient avoir la vie du Prophète et que, s’il résistait davantage, lui-même serait dénoncé à César comme protégeant un révolutionnaire et usurpateur, vacilla et manifesta une indécision qui ne convient pas à un gouverneur romain. Son sens de justice se révolta à sacrifier, à la haine des sacrificateurs et du peuple, un innocent, contre lequel aucune accusation n’avait été prouvée ; et il craignait pour ses propres nom et réputation, au cas où Tibère, qui est toujours jaloux de ses gouverneurs orientaux, croirait leur déclaration pour ce cas.

Jésus, comme je l’ai dit dans ma dernière lettre, s’était, suite à l’épuisement, effondré sur les marches du trône du Hall du jugement. Jean s’agenouilla à côté de Lui, essuyant les plaies aux tempes, desquelles il avait courageusement retiré la couronne d’épines. Quand Pilate, après avoir donné l’ordre de relâcher le chef voleur Barabbas, revint où Jésus était, il s’arrêta et Le regarda attentivement et avec une expression de chagrin et d’admiration. La juvénile beauté, la dignité, même dans son humiliation, la patience, et l’air d’innocence qui L’enveloppait l’impressionnèrent profondément. A la fin, il dit :

“Si tu es réellement un dieu, o héroïque jeune homme, comme ta patience semblerait le prouver, tu n’as pas besoin de craindre ces limiers qui hurlent si férocement pour ton sang. Si tu es un imposteur et un séditionniste, tu mérites véritablement la mort. Je ne te considère que comme un jeune enthousiaste, et voudrais te laisser aller libre – mais je ne peux pas te protéger. Mes soldats sont réduits, en les envoyant aux garnissons de Jéricho et Gaza, à moins de trois cents personnes ; et de ces Juifs enragés, il y a un demi million dans la ville. C’est seulement par la force morale et la démonstration de pouvoir, que je les tiens en soumission. Si je te relâche, non seulement toi, mais également toute ma troupe, serez massacrés réellement, es-tu un fils du divin Jupiter ?”

Quand Jésus, au lieu de répondre, resta silencieux, le Procurateur dit sévèrement :

“Quoi, ne me réponds-tu pas ? Ne sais-tu pas que j’ai le pouvoir de te crucifier comme un malfaiteur et le pouvoir, si je choisis de courir le risque, de te relâcher ?[1]

Jean leva son regard et dit calmement :

“Tu ne peux avoir aucun pouvoir sur moi à moins qu’il ne te soit donné d’en haut. Par conséquent, celui qui m’a livré entre mains a le plus grand péché !”[2]

Et pendant que Jésus disait ces paroles dans un ton impressionnant, Il fixait Caïphe, comme s’Il désignait le Souverain Sacrificateur, lequel regardait à l’intérieur, par la porte. Sur ce, Pilate pressa ses mains sur son front et fit les cent pas devant le siège du jugement comme s’il était troublé. Caïphe, voyant son irrésolution, cria durement :

“Si tu laisses aller cet auto-proclamé roi, o gouverneur, tu n’es pas l’ami de César ![3] Toute notre nation l’accuse devant toi, de s’établir lui-même notre roi sur nous, alors que Tibère est le seul roi à qui nous devons loyauté. Relâche l’usurpateur, si tu l’oses, je ne donnerais pas deux petites pièces de bronze pour ta tête !”

L’expression de Pilate devint sombre. Il prit Jésus par la main et, Le conduisant vers le portail, Le pointa du doigt et dit à haute voix :

“Voici votre roi ! Que voulez-vous que je fasse de lui ! Ressemble-t-il à un homme qu’on peut craindre ?[4]

“Nous n’avons d’autre roi que César !”[5]

“Crucifie-le !”[6]

“Emmenez le faux prophète à la croix.”

“Mort à l’usurpateur ! Longue vie à César ! Longue vie à Tibère ! Mort au Nazaréen ! A la croix ! Emmenez-le à la croix ! Qu’il soit crucifié !”

Tels furent les cris variés provenant des dizaines de milliers de gorges, qui répondirent au message du Procurateur. Impressionné, comme il l’a déjà dit, par l’innocence de Jésus, et se rappelant le message d’avertissement que lui avait envoyé sa jeune et belle femme, qui avait une grande influence sur lui, il trembla d’indécision.

“Pourquoi m’obligerez-vous à crucifier un innocent ? Quel mal a-t-il fait ?”[7]

“Crucifie-le ! Crucifie-le !” fut la réponse à casser les oreilles.[8]

“Je le châtierai et le laisserai aller !”

“A ton péril, relâche-le, o Romain !” s’exclama Caïphe d’un ton menaçant. “Soit lui, soit toi, l’un de vous doit mourir ce jour pour le peuple. Le sang doit couler pour calmer la tempête !”

Le tumulte fut alors effrayant. Les voix des principaux sacrificateur et du peuple entretinrent un tapage ininterrompu, demandant sa crucifixion ; pendant qu’en vain Pilate faisait appel à leur humanité et justice. Ils noyèrent sa voix par les leurs ; et ses gesticulations pour obtenir le silence ne firent qu’augmenter le hurlement de la tempête humaine.

Quand le Procurateur vit qu’il ne pouvait rien faire prévaloir, mais plutôt que le tumulte augmentait, il fit venir de l’eau, qui lui fut apportée dans un bassin par son page ; et dans la présence de toute la foule, il se lava les mains, disant :

“Je suis innocent du sang de ce juste. Cela vous regarde, o Juifs, vous et votre Souverain Sacrificateur.”[9]

“Que son sang retombe sur nous, et sur nos enfants.” Répondit Caïphe ; et tout le peuple reprit en écho son langage.[10]

“Oui, sur nous et nos enfants, la responsabilité de son sang !”

“Que cela soit ainsi” répondit le Procurateur avec une mine sombre et une face pâle comme mort. Prenez-le et crucifiez-le et puisse le Dieu qu’il adore vous juger, pas moi, pour les œuvres de ce jour.”

Ensuite, il s’éloigna d’eux et dit à Jésus, qui se tenait sans être ému avec la même héroïque et céleste sérénité qu’Il avait manifestée à travers la tempête qui soufflait autour de Lui :

“Tu es, je le sens, un innocent ; mais tu vois que je ne peux pas te sauver ! Je sais que tu me pardonneras et que la mort ne peut avoir aucune terreur sur quelqu’un d’une force d’âme comme la tienne !”

Jésus ne fit aucune réponse ; et Pilate, avec une mine triste, Le laissant, s’en alla lentement et quitta le Hall du jugement. Au moment où il fit ainsi, un de ses capitaines lui dit :

“Dois-je le flageller, mon seigneur, selon la loi romaine, qui ordonne que tous ceux qui sont condamnés à mourir soient flagellés ?”

“Fais comme la loi ordonne” répondit le Romain à l’esprit instable.

Sa disparition fut le signal pour une ruée générale vers Jésus, principalement par la populace qui, indifférente au sujet de souillure “gentil”, franchit le seuil du Hall, ce que les principaux sacrificateurs s’abstinrent de faire. Ces types bas saisirent Jésus et, aidés par les hommes en armes, Le traînèrent dans le Hall extérieur ou commun. Là, ils le dévêtirent et, sur ordre du chef capitaine, un soldat Le flagella de quarante coup moins un. Ensuite, ils revêtirent sa forme lacérée et saignante de la robe royale déchirée que Jean avait enlevée quand il avait enlevée sa couronne d’épines ; mais alors, ils remirent la couronne et la robe et, une fois de plus, versèrent dans la moquerie d’hommage, s’agenouillant et Le saluant “Roi des Juifs”.

Tout ceci, Jésus le supporta encore avec la majesté divine. Pas un murmure ne s’échappa de ses lèvres ; pas un regard de ressentiment n’enflamma les saintes profondeurs de ses yeux qui, de temps en temps, étaient levés vers le ciel, comme s’Il cherchait l’aide et la force venant de là.

Non seulement Aemilius, mais Jean fut alors séparé de Lui ; mais mon oncle le Rabbi, resta près, en vue de voir ce qui allait suivre ; et utiliser, si possible, son influence pour persuader les principaux sacrificateurs d’abandonner l’idée de Le tuer.

“Bon Rabbi” lui dit Jésus “laisse-les me faire ce qu’ils veulent ! Mon Père m’a mis entre leurs mains. Je meurs mais pas pour moi-même ; je peux garder ou donner ma vie comme je veux.”

“Oh, ainsi, cher Maître !” s’écria mon oncle “pourquoi ne pas te sauver Toi-même ? Pourquoi souffrirais-Tu tout ceci, et la mort également, si Tu as le pouvoir sur ta vie ?”

“Si je ne meurs pas, alors vous êtes tous morts ! L’Ecriture qui dit de moi ‘Il fut conduit comme un agneau à la boucherie’ doit être accomplie.

Ici, Rabbi Amos ne put davantage Lui parler, car la foule Le traîna hors de la cour de Gabbatha et, ainsi, descendit la rue escarpée, en direction de la porte des rois, qui mène au Calvaire, la place publique d’exécution, où les Romains depuis qu’ils ont été maîtres de Jérusalem, ont exécuté des criminels par leur cruel mode de crucifier. A la porte, un Centurion Romain Le prit avec une garde en armes et L’escorta, suivi par la vaste multitude.

Rabbi Amos accompagna la foule, se tenant aussi près de Jésus que les soldats Romains qui marchaient de chaque côté de Lui, le lui permettaient. En chemin, au moment où ils traversaient l’espace ouvert, où autrefois se tenait le palais et la statue d’Antioche Séleucie, les yeux du Rabbi furent attirés par les cris et les doigts de plusieurs personnes pointés vers le corps d’un homme étendu mort au pied d’un figuier séché. En s’approchant, il reconnut les traits de l’homme Judas, qui avait si bassement trahi son Maître ! Le spectacle qu’il exhibait était révoltant et horrible à voir ! Autour de son cou était enroulé un fragment de sa ceinture, l’autre moitié étant encore fixée à une branche de l’arbre, montrant comment il avait rencontré son destin. La corde fut brisée par son poids et, étant un homme charnu, il avait dans la chute, très terrible à relater, éclaté en deux, et les chiens affamés qui infestent les banlieues, se nourrissaient de ses entrailles. Avec des cris d’horreur, plusieurs parmi la foule les chassèrent ; mais le Centurion Romain, que Pilate avait chargé de crucifier Jésus pour les Juifs, ordonna à quatre de ses soldats de porter le corps hideux hors de la vue, et de s’assurer qu’il était brûlé ou enterré.

“Si” dit Rabbi Amos à Jean à Jean, qui le rejoignit alors “si les accusateurs de Jésus doivent être punis comme cet homme, ceci sera un jour terrible pour les homes de Jérusalem. Judas, le traître, meurt avant que sa victime ne meure et par sa propre main. Ceci ressemble à la rétribution divine, et comme si Jésus était, en vérité, l favori Prophète du Très Haut.”

Pendant ce temps, le peuple qui traînait Jésus vers la mort, était au delà de la porte, où une croix d’un cyprès lourd fut obtenue par le Centurion d’un jardin près du loge, où étaient plusieurs croix nouvellement faites, attendant toute victime que la justice romaine devait, de jour en jour, condamner à mort. Deux autres furent aussi apportées et posées sur les épaules de deux hommes, les lieutenants de Barabbas, qui devaient aussi être crucifiés ce jour là. Barabbas, le relâché était lui-même présent et, en vue de plaire au peuple, était le plus actif à poser la croix sur le dos du déjà faible et languissant Jésus.

Par le temps où la grande foule avait passé la porte, il fut connu à travers tout Jérusalem que Pilate avait donné des ordres pour la crucifixion du Prophète Nazaréen. Et avec une seule pensée, tout ceux qui L’avaient connu et avaient cru en Lui, ou L’avaient aimé, quittèrent leurs maisons pour aller après Lui, voir sa crucifixion ; car j’ai oublié de dire que Caïphe avait promis que si Jésus était livré, ses suiveurs n’allaient pas être molestés. Par conséquent, chaque personne sortit de la porte en direction du Calvaire.

Marie, sa mère, ma cousine Marie, Marthe et sa sœur, Lazare, Jean et Pierre, Thomas et certaines femmes, parentes venues de la Galilée, et beaucoup d’autres aussi allèrent. Quand nous fûmes hors des murs, il nous sembla laisser une ville déserte derrière nous. Aussi loin que l’œil pouvait voir, il y avait une innombrable foule en mouvement le long du vaste espace, entre la Porte des Rois et la place du Calvaire. Jésus était devant, où nous pouvions alors capter l’éclat de la lance romaine. Nous nous hâtâmes de nous approcher de Lui et avec peine, nous frayâmes le chemin vers la tête de la foule ; aussi bien que ses amis reculaient quand ils voyaient sa maman pleurant parmi nous.

A l’approche du Calvaire, nous constatâmes que, suite à une certaine raison, le cours du puissant courant d’êtres humains fut secoué. Nous apprîmes aussitôt la cause. Jésus s’était effondré à terre, sous le poids du bois sur lequel Il devait mourir et s’était évanoui.

“Il est mort” fut le cri de ceux qui étaient autour de Lui ; mais juste au moment où nous approchâmes, Il revint à Lui, quelqu’un ayant offert du vin à ses lèvres et versé de l’eau sur son front. Il se leva, regardant avec douceur autour de Lui ; et croisant le regard de sa mère, Il dit de façon touchante :

“Ne pleure pas, ma mère ! Rappelle-toi ce que je t’ai souvent dit à propos de cette heure et crois ! l’épée perce ton âme mais elle est tenue entre la main de mon Père. Mon heure est venue.”

Parlant ainsi, Il sourit à sa mère, puis à nous, avec une certaine expression de paix divine illuminant sa contenance.

Barabbas, le chef voleur, qui avait, à un certain niveau, pris la tête de la foule, releva alors la croix sur les épaules de Jésus, avec l’aide de trois hommes, et les soldats ordonnèrent au Prophète d’avancer. Mais la jeune victime s’écroula aussitôt sous l’insupportable fardeau. Cela étant, ils ne savaient plus quoi faire ; car il est ignominieux pour un Juif ou un Gentil d’aider à porter la croix d’un malfaiteur. Un Romain ne la toucherait pas ; pendant que les Juifs ne le feraient pas par crainte d’être souillés, ce qui les obligeraient par la suite d’être mis à part pour plusieurs jours de purification. Barabbas releva de nouveau Jésus et commença à Le flageller pour L’amener à monter avec le lourd bois, le pic du Calvaire. Mais Il n’eut pas la force d’avancer trois pas avec, quoique Il fit l’effort d’obéir à ses tyranniques bourreaux.

A ce moment crucial, ils virent un marchand Syro-phenicien, Simon de Cyrène, un homme vénérable, bien connu de tous à Jérusalem et père de deux jeunes hommes, Rufus et Alexandre, qui étaient des suiveurs de Jésus. Ils avaient vendu, l’année dernière, tout ce qu’ils avaient en vue de devenir ses disciples et s’asseoir à ses pieds et écouter ses enseignements divins. Leur père fut pour cela ou pour quelque autre raison, particulièrement détesté par Abner, et en le voyant, ce dernier le montra au Centurion comme “l’un des Nazaréens” et suggéra qu’il soit obligé de porter la croix après Lui.[11]

Le marchand Cyrénien fut aussitôt traîné de sa mule et conduit à l’endroit où la croix était posée, croyant qu’il était sur le point d’être exécuté lui-même. Mais quand il vit Jésus debout, pâle et saignant, à côté de la croix tombée et sut ce qu’on attendait de lui, il fondit en larmes et s’agenouillant à ses pieds, il dit :

“S’ils m’obligent de faire ceci, Seigneur, ne pense pas que j’aide à ta mort ! Je sais que Tu es un Prophète venu de Dieu ! Si tu meurs aujourd’hui, Jérusalem aura le plus précieux sang pour lequel répondre que le sang de tous ses prophètes.”

“Nous t’avons amené ici non pour parler, vieil homme, mais pour travailler. Tu es bien bâti. Soulève l’extrémité de la croix et suis-le !” crièrent les principaux sacrificateurs.

Simon, qui est un homme fort, quoique âgé de soixante ans, souleva l’extrémité du bois et Jésus essaya de bouger sous le poids de l’autre extrémité, mais Il ne put pas.

“Laisse-moi la porter seul Maître” répondit le brave Simon “je suis le fort. Tu as assez à porter le poids de ton propre chagrin. Si c’est une honte de porter une croix après Toi, je me glorifie dans ma honte, comme l’auraient fait mes deux fils s’ils avaient été ici ce jour.”

Parlant ainsi, d’une voix courageuse et intrépide, paraissant aussi brave que s’ils accepterait joyeusement d’être cloué à la croix poour son Maître comme de la porter après Lui (car Simon avait depuis longtemps cru en Lui, aussi bien que ses fils), il souleva la croix et la porta sur ses épaules après Jésus qui, affaibli suite à la perte de sang et au manque de sommeil, et épuisé à mourir, devait s’appuyer contre un des bras de l’instrument de mort pour se soutenir.

Ah, mon cher père, quel endroit était-ce, à travers lequel nous nous déplaçions ! Des crânes étaient disséminés sous nos pas et partout des os humains blanchissaient à l’air ; et nous marchions dans des tas de cendres, où les Romains avaient brûlé de plusieurs de ceux qu’ils avaient crucifiés.

A la fin, nous atteignîmes ce lieu de la mort, sur lequel cinq croix étaient déjà debout. Sur l’une d’elles, un criminel toujours pendu, encore vivant, qui y était cloué le midi d’avant. Il demandait faiblement de l’eau mais quelqu’un le tourna en dérision et tous passèrent sans faire attention. Il y avait un espace vide au milieu de ce Golgotha, et là le Centurion s’arrêta et ordonna que les croix soient installées dans la roche où des trous profonds avaient déjà été creusés. Les croix portées par les voleurs furent alors jetées à terre par eux ; l’un avec exécration, l’autre avec soupir comme il anticipait l’angoisse qu’il devait souffrir dessus.

La plus large croix des trois était celle de Jésus. Elle fut prise par trois soldats du dos du vieux marchands Cyrénien et posée lourdement à terre. C’est alors que le moment crucial du plus douloureux intérêt approcha. Le Centurion ordonna à ses soldats d’éclaircir avec leurs lances un cercle autour du lieu où les croix devaient être plantées. Les Juifs, qui avaient afflué près, dans leur ardente soif du sang de leur victime, reculèrent lentement et à contre cœur, devant les pointes aiguisées des lances romaines, appuyées contre leurs poitrines ; car le Centurion avait avec lui soixante hommes en armes, outre une partie de la garde de Hérode. Si grand était le désir des Juifs de s’approcher que les femmes, impuissantes, ne pouvaient qu’être repoussées loin de la scène immédiate. Jean, cependant, garda sa place près de son Maître. Il relate que Jésus continua à faire preuve du même sublime sang-froid quand le Centurion ordonna aux crucifieurs d’avancer et de clouer les malfaiteurs à leurs croix. Le lieutenant voleur, Ishmerai, qui était un Edomite, voyant l’homme approcher avec le panier contenant les clous et les marteaux, le regarda férocement de travers et parut défiant. Il fut instantanément saisi par quatre soldats Parthes à l’apparence sauvage, de la garde romaine, qui le déshabillèrent et plaquèrent son dos sur la croix. Ses efforts, car il était un homme athlétique, étaient si violents qu’il fallut six hommes pour le tenir fixé sur les bras de la croix, et ses paumes largement ouvertes, pour recevoir les clous pénétrants ; que l’un des crucifieurs, avec des bras nus et vigoureux, pressant un genoux sur le poignet, enfonça à travers la chair et le bois, par trois coups rapides et puissants, avec son court et lourd marteau. Ishmerai grinça ses dents au moment où le clou pénétra la chair frémissante. L’autre main, de la même manière, fut attachée, avec difficulté, à l’autre bras du bois ; et ensuite les deux pieds étant mis ensemble, un long et affilé clou-lance fut enfoncé à travers les deux dans le bois – pendant qu’un cri perçant, mêlé de jurons, rendait témoignage à l’agonie soufferte par le malheureux homme.

Ainsi fixé, il fut abandonné, saignant et se tordant de douleur, par les six crucifieurs ; car ils sont quatre à fixer la victime, un pour tenir les clous, et le sixième pour les enfoncer avec son marteau ; et du regard que je captai de leurs formes à moitié nues et tâchées de sang, ils étaient dignes de tenir le terrible office qui ferait que tous les hommes les fuient comme s’ils étaient lépreux.

Ils s’approchèrent alors d’Omri, l’autre voleur, qui était un jeune homme avec un regard doux et une face dont les nobles traits ne trahissaient pas sa profession. Il était le fils d’un riche citoyen de Jéricho et avait, par une vie tumultueuse, dépensé son patrimoine et rejoint Barabbas. Il avait entendu Jésus prêcher dans le désert du Jourdain et Lui avait, une fois, demandé avec un profond intérêt, beaucoup de choses touchant les doctrines qu’Il enseignait. Jean qui l’avait vu parler avec Jésus, quelque mois auparavant à Bethabara, le reconnut et le vit regarder le Prophète avec un regard de révérence ; et plus d’une fois il entendit ce dernier lui dire des paroles gentilles alors qu’ils allaient au lieu de crucifixion.

Quand les crucifieurs, avec leurs cordes, paniers, clous et marteau en fer s’approchèrent de lui, il dit :

“Je ne veux pas vous obliger à me jeter à terre, je peux mourir comme j’ai vécu, sans crainte. Comme j’ai brisé la loi, je suis prêt à en subir la peine.”

Parlant ainsi, il s’étendit lui-même sur sa croix et étendit ses paumes le long du bois transversal. Il souffrit qu’ils le clouent au bois, n’émettant aucune plainte. Il regarda vers Jésus au même instant, avec une expression de courage, comme s’il cherchait à Lui montrer que la douleur pouvait être supportée par un brave homme. Et, peut être réellement, Jésus paraissait comme s’Il avait besoin d’un exemple héroïque devant Lui pour Lui montrer comment mourir sans répugner, car ses joues étaient comme le marbre de Paros dans sa blancheur et Il semblait sur le point de s’écrouler suite à l’épuisement. Sa jeunesse – sa presque divine beauté, que pas même ses cheveux ébouriffés, ni sa barbe arrachée, ni sa contenance rayée de sang, ne pouvaient entièrement cacher – l’air d’une innocence céleste qui brillait de ses yeux, attira sur Lui plusieurs regards de sympathie, même de certains de ses ennemis. Le Centurion, qui était un homme grand avec une barbe grise et avec l’extérieur hardi d’un vieux guerrier romain, jeta sur Lui un regard triste et dit :

“Je ne vois pas pourquoi les hommes te haïssent, car tu sembles être un homme d’amour ; mais je dois accomplir ma tâche, et j’espère que tu me pardonneras ce que je fais. L’honneur du soldat est d’obéir.”

Jésus lui sourit le pardon si tendrement que les yeux du dur Romain se remplirent de larmes, et il plaça sa main gantée à sa face pour dissimuler son émotion, pendant qu’il disait :

“Pilate ne commettrait pas ce crime, s’il y avait une autre légion ou deux avec lui. C’est le faible nombre de ses hommes en armes qui l’oblige à te sacrifier pour plaire à ces Juifs hurlants.”

Ceci fut dit à voix basse à Jésus, qui ne fit aucune réponse ; car à ce moment, les crucifieurs s’approchèrent pour L’apprêter, en Le déshabillant, car la croix était couchée à ses pieds.

Mais, mon cher père, je ne peux plus continuer maintenant avec mon triste récit. Je suis lasse de pleurer aux souvenirs que ça me rappelle et à notre présente affliction. Dans ma prochaine lettre, je compléterai mon récit de la malheureuse crucifixion du Prophète de Nazareth, et avec Lui, la crucifixion et la mort de toutes nos espérances en Lui comme le Messie de Dieu.

Ton affectueuse fille,

Adina.

[1] Jean 19 :10

[2] Jean 19 :11

[3] Jean 19 :12

[4] Jean 19 :13-14

[5] Jean 19 :15

[6] Jean 19 :15

[7] Matthieu 27 :23

[8] Matthieu 27 :23

[9] Matthieu 27 :24

[10] Matthieu 27 :25

[11] Matthieu 27 :32 ; Marc 15 :21 ; Luc 23 :26