Lettre XXI
Mon cher père,
Alors que j’achevais ma dernière lettre qui t’était destinée, la nouvelle parvint à mon oncle Amos que Lazare, l’aimable frère de Marthe et Marie, était très malade. Le message fut apporté par Elec, l’esclave Gibeonite qui, avec des larmes aux yeux, nous communiqua la triste nouvelle. Ma cousine Marie et moi décidâmes aussitôt d’aller à Béthanie avec lui, l’oncle Amos ayant gentiment offert ses deux mules pour notre voyage, promettant de venir lui-même aussi après le service du soir au Temple si Lazare ne se sentait pas mieux.
Nous fûmes aussitôt au delà des murs de la ville, sur la route de Béthanie, conduites par le fidèle serviteur qui, à chaque instant, nous poussait à chevaucher vite ; et levant ses yeux et ses mains, il se lamentait sur le risque du jeune homme, et le dénuement de ses sœurs, s’il leur était ôté – étant, cher père, leur unique soutien ; comme je te l’ai écrit une fois ; son travail étant celui de recopier les rouleaux des prophètes pour l’usage de diverses synagogues.
Malgré que nous ne nous attendions pas à faire beaucoup en nous dépêchant vers nos chers parents dans leur affliction, nous espérions cependant par notre présence et notre sincère sympathie, soulager beaucoup du souci des bien-aimés sœurs pour leur cher frère.
“Connais-tu Elec, la maladie qui a si soudainement attaqué mon cousin ?” demanda Marie alors que nous remontions lentement le chemin qui mène autour du côté le plus raide du Mont des Oliviers.
“Ah, mon Dieu, noble dame, je ne sais pas” répondit Elec, hochant sa tête. “Il venait de rentrer de la ville, où il était resté nuit et jour pendant une semaine, travaillant assidûment pour compléter une copie des cinq livres du béni Moïse, pour le capitaine chef du Procurateur, travail pour lequel il devait recevoir une importante somme en or romain.”
“Quel était le nom de ce capitaine romain qui cherche à obtenir nos saints livres ?” demandai-je, espérant avoir presque la réponse à la question dans mon cœur.
“Aemilius, le brave chevalier qui, dit-on, est devenu prosélyte à la dernière Pâque.”
Je fus contente d’entendre cette preuve du ferme désir du princier chevalier Romain d’apprendre nos lois sacrées, tu dois en être assuré, cher père. Mais Elec continua à parler et dit :
“Ce fut son ardu travail de compléter cette copie qui le rendit malade ; car il ne dormait pas, ni ne cessait de travailler jusqu’à ce qu’il l’eut compléter. Et quand il vint à la maison avec le rouleau relié en argent dans sa main, et le posa sur la table devant ses sœurs, il tomba au même moment par terre. Quand elles le relevèrent, il avait une forte fièvre et délirait au point qu’il ne reconnaissait personne autour de lui.”
“Hélas, pauvre Lazare !” nous nous exclamâmes toutes les deux et poussâmes nos mules en avant à un pas plus rapide, nos cœurs saignant pour la peine de ses sœurs et pour sa triste condition. Je t’ai déjà dit dans une précédente lettre où je décrivis ma visite à la maison de Marie et Marthe, quel noble et bon jeune homme leur frère était ; combien il était aimé par tous ceux qui le connaissaient – inspirant le respect de ses supérieurs par sa dignité de port, pendant que sa beauté mâle gagnait les cœurs de jeunes filles qui étaient amies à ses sœurs. Je t’ai dit avec quelle persévérance il travaillait pour le soutien de ces chèrement aimées sœurs et mère sans ressources, pensant uniquement à leur confort, au détriment de lui-même. Je t’ai relaté aussi comment ses nombreuses vertus lui avaient fait gagner l’amitié du jeune Prophète Jésus qui aimait faire de sa demeure son lieu fréquent d’habitation ; et nobles doivent être les vertus et l’excellence d’un homme, cher père, pour s’attirer la sainte amitié de cet adorable homme de Dieu. De presque même âge, ils marchaient et parlaient ensemble dans une douce camaraderie, comme Jonathan et David pendant l’âge d’or de la gloire de notre pays.
A la fin, une demi-heure après avoir quitté la porte de la ville, nous nous approchâmes de Béthanie et vîmes le toit de la maison de Lazare. Dessus, nous découvrîmes, regardant la route de Jérusalem pour nous, la gracieuse forme de Marie qui, aussitôt qu’elle nous vit, agita ses mains dans un sincère désir. En peu de temps, nous étions dans ses bras, mêlant nos
“Vit-il encore ?” risquai-je à peine de demander au moment où elle nous conduisit dans la maison.
“Oui, il vit mais s’affaiblit constamment” répondit Marie avec un calme forcé “Dieu vous bénisse toutes pour vous être hâtées vers moi.”
A ce moment, la face pâle et souffrante, belle même dans sa pâleur, de Marthe apparut à la porte de la chambre intérieure. Nous ayant vues, elle s’avança et, prenant nos mains dans les siennes, elle dit dans un chuchotement touchant “vous êtes venues, douces amies, voir mon frère mourir !”
Elle nous conduisit alors dans la chambre où était couchée sur une couche la forme de l’invalide, dont la condition périlleuse avait amené le remord dans les cœurs de tant de gens, autour de lui, qui sont chers et qui l’aiment. Quand nous entrâmes dans l’appartement, il tourna ses yeux brillants vers nous et sourit faiblement en signe de reconnaissance. Noble et beau comme sa mine quand il était en bonne santé, je pensai que son expression, avec ses yeux brillants et ses joues fébriles, était alors surhumaine.
“Il a dormi un peu” me dit Marthe doucement ; “mais sa fièvre le consume. Il a maintenant encore fermé les yeux, et son état semble sérieux ; mais son sommeil est agité, comme tu vois ; et il semble penser que son ami, Jésus le Prophète, est à côté de lui ; ou il parle de Rachel comme si elle n’était pas présente.”
“Et qui est Rachel, chère Marthe ?” demandai-je, alors que j’étais sur le point de la suivre hors de la chambre laissant son frère se reposer de son épuisement.
“Hélas ! c’est à cause du doux amour de Rachel qu’il est maintenant couché là » répondit-elle “c’est la douce jeune fille à genoux sur l’autre côté de sa couche, sa face en larmes cachée dans les pans du rideau. Elle ne le quitte pas un seul instant ; qui plus est, quoique il ne semble pas être sensible à sa présence, cependant quand elle est sortie une ou deux fois de la chambre, il s’est réveillé directement et l’a appelée.”
Je me retournai et regardai avec intérêt affectueux la gracieuse forme à moitié dissimulée de la jeune fille au moment où elle se pencha sur son oreiller, sa main étreinte par la sienne. A ce moment, elle leva ses yeux et dirigea son regard vers moi. Sa face était indiciblement jolie baignée, comme elle l’était, dans ses étincelantes larmes et ses larges, glorieux yeux brillaient comme les cieux étoilés de tendresse et d’amour. Ses cheveux auraient été d’un noir brillant n’eut été ces rayons de bronze doré, enrichissant ses masses flottantes avec chaque jeu de lumière sur eux. Au moment où nos yeux se croisèrent, elle sembla me recevoir dans son cœur et mon cœur embrasser le sien. Alors Lazare bougea et murmura son nom, et elle baissa ses yeux et se pencha, semblable à un ange, sur lui.
“Qui est cette merveilleusement jolie jeune fille ? » demandai-je à Marthe au moment où nous sortîmes pour entrer dans la cour du hall.
“La fiancé de notre bien-aimée frère” répondit-elle ; “assieds-toi ici avec moi à l’ombre, sous cette vigne et je te raconterai leur triste histoire. Lazare, tu sais très chère Adina, est un écrivain dans le Temple, et par son travail il a vécu avec un humble revenu, nous entourant toutes avec beaucoup de confort, voire de luxe car tout ce que nous avons, nous le devon à son amour filial et fraternel. Son attachement à nous le conduisit à renoncer au plaisir de toute autre compagnie ; étant donné qu’il dit qu’il a trouvé dans notre doux lien d’amour tout ce dont il a besoin pour le rendre heureux. Par conséquent, il fut insensible à l’attraction de jeunes filles qui sont nos connaissances et nos amies ; et depuis quelques mois, après que notre mère fut assemblée avec ses pères, il dit qu’il sentait plus que jamais que sa tâche était de dévouer sa vie pour notre bonheur. Nous l’aurions joyeusement persuadé de chercher une compagne pour la vie, connaissant sa noble nature, et combien il possédait, dans un degré éminent, ces aimables qualités qui rendraient heureuse et honorée, en qualité de sa femme, toute fille d’Israël. Mais poussé par nous, il souriait et, avec humour, disait qu’il n’avait qu’un petit cœur et qu’il ne pourrait pas garder plus d’amour que le mien et celui de Marie. »
“Il y a quelques semaines, comme il était occupé tard et seul dans la salle de copie du Temple sur un rouleau, que le noble Aemilius avait commandé, rouleau qu’il désirait avoir complet à un certain jour et pour lequel il devait lui donner une importante somme, il fut effrayé par la soudaine entrée d’une jeune fille dans une grande terreur, semblant être poursuivie. En le voyant, elle bondit vers lui et, se jetant à ses pieds, elle implora sa protection ! Etonné et intéressé, il la lui promit promptement. Mais il avait à peine prononcé les paroles que Anne entra et s’avança vers la fille. Sa face était rouge de rage, et sa voix fut bruyante et féroce au moment où il la demanda de la main de mon frère.”
“’Non, mon Seigneur Anne’ répondit Lazare hardiment ‘si la colombe cherchait la protection contre un faucon dans mon sein, je la protégerai, plus encore une jeune fille des filles d’Abraham en détresse !’ et il se plaça devant la fugitive.
“’Oses-tu protéger contre moi ? Elle est mon enfant, une mauvaise et désobéissante fille de Bélial ! Abandonne-la à moi, jeune écrivain ou je t’enverrai dans le plus bas cachot du château de David.’
“’Oh, sauve-moi ! sauve-moi !’ cria la jeune fille, comme Anne s’avançait pour la saisir. ‘Je ne suis pas son enfant ! Je suis orpheline de Rabbi Lévi, qui me laissa ainsi mes biens à ce faux sacrificateur comme une charge sacrée ; et ayant fait, je ne sais pas quoi, avec mon héritage, il voudrai me vendre dans un mariage immoral à un capitaine grec de la légion romaine, qui lui offre un large pot-de-vin en or pour moi. Et ce n’est qu’au moment où il m’aurait livrée à lui que j’ai couru à l’autel de mon Dieu pour la protection que l’homme me refusait ; et ignorant le chemin et perdue dans le labyrinthe du Temple, je me suis retrouvée ici. Plutôt que d’être livrée aux mains de ce féroce et terrible Grec, que j’ai vu uniquement pour avoir peur, je me jetterai des hauteurs du Temple !’
“Et à la surprise et l’horreur de Lazare, elle bondit du treillis et se tint sur le bord du rocher à pic, qui donne trois cent pieds plus bas dans la vallée en dessous.
“’Tu vois, o Anne, à quoi ta cupidité pour l’or conduira cette jeune fille. Le pays d’Israël serait-il tombé si bas, que son principal sacrificateur vendra les filles du pays pour l’or à la luxure des Gentils ? Est-ce de cette façon que tu offres la protection aux orphelines ? Laisse-la ; et jusqu’à ce que je trouve un protecteur pour elle, elle sera une hôte sacrée de mes sœurs dans leur humble demeure !’
“’Ta vie paiera pour cette arrogance, jeune homme’ répondit le sacrificateur ‘j’ai le pouvoir et l’exercerai.’
“’Non pour mettre en danger et faire du mal à cette jeune fille, mon seigneur Anne, que Jéhovah protégera, depuis qu’elle a avec confiance cherché les ailes protectrices de son autel’ répondit fermement mon frère. ‘Si tu continues à la persécuter, j’en appellerai au Procurateur, Ponce Pilate, contre toi. Tu sais déjà que la justice romaine connaît comment punir tout Juif coupable de terrible sévérité.’
“Le résultat fut” continua Marthe “que le méchant sacrificateur, alarmé par la menace de l’appel à Pilate, renonça à son but du moment et les quitta, proférant des menaces contre mon frère. Le même jour, Lazare conduisit la jeune fille que tu devines déjà être Rachel à notre maison ! Elle a, depuis lors, été notre hôte et a gagné tous nos cœurs, aussi bien que celui de notre frère. Pilate, à qui Lazare en appela, a placé le bouclier de sa protection entre eux et Anne. Ce fut pour obtenir l’argent afin d’être en mesure d’épouser aussitôt Rachel, que notre frère est à la fin tombé victime de son dur labeur, et est maintenant couché au bord de la tombe.”
“N’y a t-il aucun espoir pour lui ?” demandai-je, après avoir entendu son touchant récit.
“Il y a un espoir qui reste” dis-je ardemment.
“Quel est-il ?” demanda Marthe.
“Jésus” répondis-je “fais-Le appeler, o Marthe, et Il pourra encore le sauver et l’élever à la vie et la santé.”
J’avais à peine parlé que Marie, qui me surprit, émit un cri de joie.
“Oui, Jésus a le pouvoir de le guérir, et Jésus l’aime ! Il viendra et le sauvera quand Il apprendra qu’Il est en danger.”
Immédiatement, Marie écrivit sur un morceau de parchemin ces mots brefs et touchants :
“Seigneur, voici, celui que tu aimes est malade ![1] Dépêche-toi de venir à nous afin qu’il vive ; car rien n’est impossible à toi.”
Ce message fut aussitôt envoyé promptement par les mains d’un jeune ami à Bethabara, au delà du Jourdain, où nous apprîmes que Jésus demeurait à présent. Nous n’avons, par conséquent,pas d’espoir pour notre cher parent, sauf dans le pouvoir du Prophète. Je t’écrirai aussitôt que nous apprenons quelque chose, cher père.
Ta fille attachée à toi,
Adina.
[1] Jean 11 :3