Lettre XII
Mon cher père,
Comment puis-je te remercier pour ta patience envers moi et pour tes gentilles réponses à toutes mes lettres, remplies comme elles sont de questions et opinions qui doivent te surprendre et peut-être te déplaire. Tu dis que tu as lu tout ce que j’ai écrit, avec impartialité et que tu n’es pas étonné que “celle que tu as le plaisir de dire si imaginative et pleine de sensibilité comme moi-même, soit affectée par ce qui s’est passé sous mon observation en Judée.” Néanmoins, tu refuses de ta part, mon cher père, d’écouter, avec la moindre approche vers la croyance, l’extraordinaire récit que je t’ai donné. Tu te contentes de douter de la réalité de la voix du Jourdain, et de la présence de la colombe de feu, et de les attribuer, comme beaucoup d’autres qui en ont été réellement témoins, à une illusion des sens. Tu es disposé à admettre que Jésus peut être né à Bethlélem car beaucoup que tu connais “qui ne sont ni prophètes, ni fils de prophètes, sont nés là.” Tu es prêt à admettre que il “peut être de la lignée de David, car les descendants de David sont aussi nombreux qu’ils sont pauvres et obscures, cependant ils ne sont pas des Messies ni ne prétendent êtres des Christs.” Tu as des doutes sur la précision de la mémoire de la mère de Lazare, à propos de la scène du Temple, il y a environ trente ans, que te décrivit ma cousine Marie dans sa lettre, quoique tu admettes que tu as souvent vu Siméon et Anne dans le Temple, à peu près à la période dont elle a parlé.
Mais ta principale objection pour recevoir l’évidence de Jean que c’est le Christ est “qu’il est pauvre, de rang humble, sans influence, ayant reçu le baptême d’un homme, alors que le Messie devait être l’oint de Dieu.” “Qui” demandes-tu “des sages, des vénérés, des instruits, des vieux en âge et en expérience ; qui des docteurs et hommes de la loi, et sacrificateurs ; qui des Scribes et qui des Pharisiens, et des grands hommes d’Israël, sera d’accord d’admettre comme Celui de qui Moïse et les Prophètes ont écrit ; comme le soleil central autour duquel tournent toutes les merveilleuses prophéties d’Esaïe ; comme la fin et l’accomplissement de la loi ; comme le Lion de la tribu de Juda ; comme le Schilo des nations ; comme le Merveilleux, le Conseiller, le Dieu Puissant et le Prince de Paix ; comme la gloire d’Israël et la Joie de toute la terre – un obscur jeune homme de trente ans, non instruit, le fils d’un charpentier, un citoyen de Nazareth (cité particulièrement médiocre), une personne sans nom, sans caractère, sans puissance, sans rang, sans richesse ou influence, et dont la dernière chose apprise de lui fut qu’il s’était enfui dans le désert ?” Tu ajoutes, cher père, que cette simple énumération de ce que le vrai Christ doit être, avec l’énumération de ce qui manque dans cet homme, devraient être suffisantes pour me convaincre que j’ai donné ma sympathie et ma foi à quelqu’un qui n’y a pas droit. Tu dis plus loin “que tu n’appelles pas mon Messie un imposteur car aussi loin que tu peux l’apprendre, il n’a rien professé, rien proclamé, rien déclaré le concernant lui-même. En silence, il apparut et en silence il disparut, personne ne sachant quand et où” et tu termines la critique de mon histoire en disant “que tu attendras davantage de développement avant que tu ne donnes au sujet ta sérieuse considération.”
Dans ta lettre suivante, dans laquelle tu fais également allusion au thème, tu dis “que si ce prophète réapparaît et de ses lèvres déclare qu’il est envoyé de Dieu et, faisant appel à des miracles indiscutables, donne la preuve de sa mission divine, se déclarant lui-même de ce fait être le Christ, alors tu croiras en lui, à condition que la totalité des prophéties pouvant être désignées s’accomplissent dans sa personne.
Sur ce terrain, mon vœu est que le résultat soit atteint, cher père, et tu ajoutes, avec ton habituelle bonne foi “que tu n’hésiteras pas à admettre comme le Christ un homme qui accomplit toute prophétie dans sa personne, quoique il vienne dans un état et une condition contraires à tes notions préconçues du caractère du Messie ; car il serait plus sûr pour toi de mettre en doute la correction de ta propre interprétation des prophéties messianiques jusqu’ici que l’identité de celui en qui, sans doute, se trouvent tous les fils d’or des prédictions relatives au Christ.” Ici je suis contente, mon cher père, de laisser la question demeurer, étant cependant entièrement persuadée dans mon propre esprit que, quoique cet humble jeune homme, Jésus, soit venu humblement et de manière obscure dans le monde, il prouvera cependant lui même à ce monde qu’Il est le véritable Messie, le Christ de Dieu.
Maintenant, mon cher père, laisse-moi poursuivre l’intéressant sujet dont mes lettres ont été remplies ; et en outre, comme tu as désiré que je continue à t’informer de tout ce qui transpire à propos de Jésus de Nazareth, et comme aucun thème sur lequel je peux écrire n’est si plaisant pour moi, je vais ici te raconter tout ce que j’ai entendu depuis la dernière fois que je t’ai écrit.
Ca fait maintenant huit semaines depuis notre retour de Guilgal. Pendant cinq semaines après notre arrivée à Jérusalem, nous n’entendîmes rien sur Jésus jusqu’au moment où Jean, le fils d’Eliasaph, réapparut. Lui et Lazare vinrent à la ville ensemble puis à la maison de Rabbi Amos. Notre première question fut : “L’avez-vous vu ? Avez-vous appris quelque chose de Lui ?”
“Jean l’a vu” répondit Lazare avec sérieux ; “demandez-lui et il vous dira tout.”
Nous regardâmes à Jean qui s’assit triste et pensif, comme s’il demeurait, dans sa pensée, sur une certaine douloureuse mais tendre tristesse. Les yeux de ma cousine Marie qui, toujours, captent leur brillance des siens, furent obscurcis par un regard interrogateur de sympathie et de sollicitude.
“Tu n’es pas bien, je crains” dit-elle, plaçant sa belle main sur le front blanc et remettant en place les cheveux rabattus sur ses tempes. “Tu as été longtemps ailleurs et tu es épuisé et malade.”
“Epuisé, Marie ? Je ne me plaindrai jamais de ma fatigue encore, après ce que j’ai vu.”
“Qu’as-tu vu ?” demandai-je.
“Jésus dans le désert ; et quand je me Le rappelle là-bas, j’oublierai de sourire encore.”
“L’as-tu trouvé, alors ? « demandai-je vivement.
“Oui, après des jours de pénibles recherches. Je L’ai trouvé au centre même du désert des Cendres, où jamais pied d’homme ne s’était posé auparavant. Je Le vis sur ses genoux, et entendis sa voix en prière. Je posai mon sac de pain et poissons ainsi que l’outre d’eau que j’avais apportés avec moi pour Le ravitailler et, avec un respect craintif, je m’approchai de l’endroit où Il se tenait.
“Comment Le trouvas-tu là ?” demandai-je avec ce douloureux intérêt qui réclame tous les détails.
“Par les traces de ses pas dans le sable et les cendres. Je vis où Il s’asseyait pour se reposer et où, pendant deux nuits, Il se reposa par terre. Je m’attendais à Le trouver ayant péri, mais chaque jour je découvris ses pas progressifs et les suivis. Alors, comme je m’approchai de Lui, je l’entendis gémir en esprit et Il paraissait vaincu à terre par une certaine agonie mortelle. Il était, pour ainsi dire, en train de parler à certains méchants êtres invisibles qui l’assaillaient.
“ ‘Rabbi, bon Maître,‘ dis-je,‘ je t’ai apporté de la nourriture et de l’eau. Pardonne-moi si j’ai dérangé ton effroyable solitude, qui est sacrée à une certaine peine profonde ; mais je pleure avec toi pour tes malheurs et dans toutes tes afflictions, je suis affligé. Mange afin que tu aies la force d’endurer tes mystérieuses souffrances.‘
“Il tourna sa face pâle pleinement sur moi et étendit vers moi ses mains émaciées pendant qu’Il me souriait faiblement, et me bénit et me dit :
“ ‘Fils, tu m’es très cher. Tu sera un jour affligé pour moi, mais pas maintenant. Et alors comprends pourquoi je suis maintenant un homme de souffrance dans le désert.’
“ ‘Laisse-moi demeurer avec toi, Divin Messie,’ dis-je.
“ ‘Tu crois alors que je le suis ?’ répondit-Il, me regardant avec amour.
“Je répondis en me jetant à ses pieds desséchés par le désert et les baignai avec mes larmes. Il me fit lever et dit ‘va maintenant ton chemin. Quand le temps de mon jeûne et tentation sera passé, je te verrai de nouveau.’
“ ‘Non, je ne te quitterai pas‘ affirmai-je
“ ‘Si tu m’aimes, bien-aimé, tu m’obéiras’ répondit-Il sur un ton de gentille réprobation.
“ ‘Mais tu mangeras d’abord du pain que j’ai apporté et boiras de l’eau‘ suppliai-je.
“ ‘Tu ne sais pas quelle tentation tu m’offres’ répondit-Il tristement ‘tu n’as pas assez pour tes propres besoins. Va et laisse-moi gagner la victoire sur Satan, le prince de ce monde, pour laquelle j’étais conduit par l’Esprit jusqu’ici !’
“Je me jetai une fois encore à ses pieds et Il me mit debout, m’embrassa et me renvoya. Oh, vous ne voudriez pas L’avoir connu ! Usé et émacié par une longue abstinence, faible à travers la souffrance, Il n’était que l’ombre de Lui-même. Il ne pouvait avoir vécu ainsi s’il n’y avait pas eu une puissance divine en Lui pour le soutenir ! Sa si longue subsistance, car Il avait été dans le désert pendant cinq semaines sans nourriture quand je l’ai trouvé, était un miracle en soi, prouvant que la puissance de Dieu est en Lui !
“Pour quelle puissante œuvre parmi les hommes, Dieu le prépare-t-Il ?” dit Rabbi Amos avec émotion. “Sûrement, Il est un prophète venu de Dieu.”
“Penses-tu qu’Il vit encore ?” demandai-je avec anxiété, réduisant à peine ma voix à un chuchotement.
“Oui” répondit Jean “je puis vous dire qu’Il fut divinement soutenu à travers tout. Et après quarante jours, Il vint du désert et se présenta soudainement sur les rives du Jourdain parmi les disciples de Jean. Je me tenais à côté du Baptiste parlant du Christ et nous demandant quand son exil du désert prendrait fin, quand le prophète, levant ses yeux, cria avec une forte voix pleine de joie :
“ ‘Voici de nouveau l’Agneau de Dieu sur lequel l’Esprit de Dieu est descendu. Il est venu de la fournaise, semblable à l’or éprouvé sept fois au feu ! Il est le seul qui ôte le péché du monde.’
“Je me tournai et vis Jésus avançant. Il était pâle et avait une expression de souffrance douce et résignée sur son visage aimable et spiritualisé. Son aspect calme, soumis et plein de dignité, la sérénité et la paix de son regard m’inspirèrent du respect, en même temps me Le firent aimer. Je me dépêchai pour Le rencontrer et m’agenouillai avec joie à ses pieds. Il m’embrassa comme un frère et dit : ‘fidèle et plein d’amour, veux-tu me suivre ?’
“ ‘Je ne te quitterai jamais‘ répondis-je.
“ ‘Où demeures-tu, Divin Maître !’ demanda alors un des disciples de Jean du nom de André, qui était avec moi.
“ ‘Venez mes amis et voyez’ répondit-Il et nous le suivîmes avec une joie inexprimable.[1]
“Que se passa-t-Il entre Lui et le Baptiste” demanda Rabbi Amos “sur le bord de la rivière au moment de cette rencontre ?”
“Pas un mot. Ils se rencontrèrent et se séparèrent comme des étrangers, Jean s’en allant, à travers le Jourdain, dans le désert au moment où Jésus entra dans le village de Bethabara. Et approchant de la maison d’une veuve, où Il demeurait Il y entra et nous Le suivîmes et, à sa demande, nous y demeurâmes avec Lui. Oh, comment serai-je en mesure de faire connaître par des mots” ajouta Jean “la douce expression de son discours ? En un jour en sa présence, je grandis en sagesse ; ses paroles remplirent l’âme comme du nouveau vin et rendirent le cœur joyeux. Le jour suivant, Il comptait aller en Galilée, et ainsi à Nazareth où sa mère habite. Et comme j’ai décidé de Le suivre désormais comme disciple, je suis venu ici uniquement pour faire connaître mon dessein à Marie et arranger mes affaires dans la ville. Demain, je quitte de nouveau pour rejoindre mon Seigneur à Cana de Galilée.”
“Oh, heureux et être envié, ami et frère” dit Lazare “combien je serai content d’aller aussi et de devenir un de ses disciples ! Mais la responsabilité de ma mère et mes sœurs vient sur moi et je dois me priver de la joie d’être à côté de ce divin homme et d’écouter la sagesse céleste qui coule de ses lèvres. Combien j’ai été aveugle de ne pas avoir découvert sous son doux et aimable caractère et sa discrète sagesse, le Messie. Vraiment, Il était parmi nous et nous ne Le reconnûmes pas.”
“Peux-tu présager tout son dessein” demanda Rabbi Amos à Jean “ou a-t-Il l’intention de fonder une école de sagesse, de prêcher comme les prophètes, de régner comme David ou de conquérir comme son homonyme guerrier, Josué !”
“Je ne sais pas, sauf qu’Il a dit qu’Il est venu racheter ce qui était perdu et établir un royaume qui n’aura pas de fin !”
Ayant entendu ceci, tous nos cœurs bondirent d’espérance et de confiance en Lui et nous éclatâmes ensemble en une voix de remerciement et chantâmes cet hymne de louange :
“ Chantez à l’Éternel un cantique nouveau! Car il a fait des prodiges. Sa droite et son bras saint lui sont venus en aide. L’Éternel a manifesté son salut, Il a révélé sa justice aux yeux des nations. Il s’est souvenu de sa bonté et de sa fidélité envers la maison d’Israël, Toutes les extrémités de la terre ont vu le salut de notre Dieu. Poussez vers l’Éternel des cris de joie, Vous tous, habitants de la terre! Faites éclater votre allégresse, et chantez! Chantez à l’Éternel avec la harpe; Avec la harpe chantez des cantiques! Avec les trompettes et au son du cor, Poussez des cris de joie devant le roi, l’Éternel! Que la mer retentisse avec tout ce qu’elle contient, Que le monde et ceux qui l’habitent éclatent d’allégresse, Que les fleuves battent des mains, Que toutes les montagnes poussent des cris de joie, Devant l’Éternel! Car il vient pour juger la terre; Il jugera le monde avec justice, Et les peuples avec équité.[2]
Il y avait ce matin, cher père, une grande excitation parmi les principaux sacrificateurs suite à une requête formelle envoyée par Pilate à Caïphe, le Souverain Sacrificateur, lui demandant si ce nouveau prophète devrait être reconnu par eux comme leur Messie “car s’il doit L’être, ce sera mon devoir” dit le gouverneur “de l’arrêter car nous comprenons que le Messie juif doit se déclarer roi !” Sur ce, il y eut une tumultueuse assemblée des sacrificateurs dans le porche du Temple, et avec beaucoup d’invectives, ils se mirent d’accord pour envoyer une réponse à Pilate disant qu’ils ne reconnaissaient pas Jésus de Nazareth comme étant le Christ. Ils furent conduits à ceci d’urgence, vu qu’ils craignaient que l’arrestation de Jésus ne donne l’occasion aux Romains d’arrêter d’autres Juifs et d’apporter ainsi de grands troubles à la nation ; juste comme il y a quelques années quand un certain imposteur se leva et s’appela lui-même Christ, les Romains n’étant pas satisfaits de le prendre et le détruire, punirent par des amendes chaque ville en Juda. Par conséquent, les prêtres renièrent au Procurateur toute reconnaissance de Jésus et le supplièrent de ne pas faire attention à Lui, jusqu’à ce que, réellement, il trouverait qu’Il a ouvertement pris la conduite des hommes armés. Ce que Pilate décida de faire, je ne le sais pas. Rabbi Amos nous informa que le Procurateur avait eu certaines nouvelles par un messager ce matin là que Jésus, en route pour Cana, avait été suivi par un millier de gens qui, L’ayant reconnu comme étant celui qui avait été baptisé par Jean au Jourdain, L’acclamèrent comme le Christ.
Ainsi tu vois, mon cher père, que cette divine personne a déjà les cœurs des gens et suscite la jalousie de nos ennemis. Sois assuré que le jour viendra où Il élèvera son étendard aux Gentils et attirera tous les hommes à Lui. Le développement de son pouvoir se met en place chaque jour ; et quoique qu’Il n’ait pas encore opéré un miracle qui pourrait être estimé, par toi, comme un test de sa mission divine, je n’ai cependant aucun doute qu’au temps convenable, Il donnera cette preuve et toutes les autres manifestations nécessaires, prouvant qu’Il est le Christ de Dieu.
Ton affectueuse,
Adina
[1] Jean 1 :39-40 Note du traducteur