Le Prince de la Maison de David- Lettre 32

LETTRE   XXXII

Mon cher père,

C’est le soir du Grand Jour de la fête et le deuxième jour depuis l’ignominieuse exécution de Celui que nous tous croyions être un Prophète envoyé de Dieu – voire, plus qu’un prophète, le Christ, le Fils du Béni ! Cependant, Il repose toujours dans la tombe et ses splendides prophéties de sa gloire future, comme Roi d’Israël, ont péri avec Lui. Hélas ! que quelqu’un si bon, et noble, et sage, ait pu être un trompeur ! Désormais, je n’ai plus foi en la bonté. J’ai pleuré jusqu’au point où je ne peux plus pleurer.

Je vais maintenant reprendre mon récit de son procès car je voudrais, en te montrant comment, semblable à un vrai prophète, Il se comporta, même devant ses juges, m’excuser dans une certaine mesure auprès de toi, du fait d’avoir été enthousiasmée par Lui, et de L’avoir accepté pour tout ce qu’Il professa être – le vrai Messie de Jéhovah.

C’est maintenant la fin du Grand Jour de la fête. Les rayons obliques du soleil couchant s’attardent encore sur les lances dorées qui terminent les pinacles les plus bas de la Sainte Maison du Seigneur. La fumée d’encens s’élève paresseusement en spirales dans le ciel depuis son autel invisible, et les voix profondes du chœur des Lévites, accentuées par celles des dizaines de milliers de Juda, qui peuplent toutes les cours du Temple, tombent à mes oreilles comme le tonnerre amorti. Je n’avais jamais entendu quelque chose de si solennelle. Par dessus le Temple est suspendu, depuis la crucifixion d’hier, le nuage de la fumée des sacrifices  et il prend de façon immobile au dessus de toute la ville comme un voile sombre. Le soleil ne le pénètre pas, cependant sa lumière tombe sur la terre hors de la ville ; mais tout Jérusalem demeure dans l’ombre ; et se projetant sur le nuage, les rayons solaires couchants, touchants les pinacles élevés, font que les ténèbres en dessous semblent plus profondes. Ce nuage est un terrible spectacle et tous les hommes l’ont observé et en ont parlé, et se sont posés des questions. Il semble être en forme de gigantesques ailes noires, se déployant sur une lieue autour de Jérusalem.

Là, il pend maintenant, visible à ma fenêtre ! mais nous sommes, en quelque sorte, habitués à sa terrible présence et avons cessé d’avoir peur ; mais nous sommes perdus dans l’étonnement ! Ce matin quand un vent fort s’est levé, soufflant depuis la grande mer en direction de l’Est, chacun s’est attendu et a espéré voir le nuage mettre les voiles devant lui en direction du désert. Mais le seul effet produit par le vent a été d’agiter sa surface entière dans de tumultueuses vagues, pendant que sa masse gardait toujours sa position au dessus de la ville. L’ombre qu’il projette est surnaturelle et épouvantable comme la terrible obscurité qui marque une éclipse du soleil.

Et ceci me rappelle, mon cher père, de mentionner ce que, dans la multiplicité de sujets qui se précipitent à ma plume pour être exprimé, j’ai oublié de te dire et qui est inexplicable, à moins que les hommes, en vérité, n’aient crucifié en Jésus, le vrai Fils de Dieu. Au moment de sa mort, le soleil disparut du milieu des cieux et l’obscurité, comme celle de la nuit, suivit sur toute la terre, si bien que les étoiles devinrent visibles ; et les collines sur lesquelles est Jérusalem furent secouées comme si un tremblement de terre les avait bougées et plusieurs maisons s’écroulèrent ; et où les morts sont enterrés, hors de la ville, la terre et les pierres furent arrachées ; les tombes se brisèrent et plusieurs corps des morts firent irruption à la surface et furent exposés devant tous les yeux ! Ces corps sont restés ainsi tout ce jour, car les Juifs n’osent pas les toucher pour les enterrer de nouveau de peur d’être souillés. Tout ceci est terrible et inexplicable. Il est connu aussi que, au moment où Jésus expira, le voile du Temple fut déchiré en deux et le Saint des Saints exposé à chaque regard ordinaire. Ce que sera la fin de ces choses est connu uniquement du Dieu d’Abraham. Jamais une Pâque ne fut si terrible auparavant. Les faces des hommes sont pâles et tout regard comme si certaine terrible calamité était arrivée  à la nation. La mort de Jésus peut-elle être la cause de toutes ces choses ? Si c’est ainsi, Il était le Fils de Dieu et les hommes Lui ont fait ce qu’ils ont voulu.  S’Il est le Christ Béni, que Caïphe et les Sacrificateurs ont fait crucifier, la rétribution de la vengeance de Dieu sur notre ville et notre nation ne fait que commencer. Mais s’Il était le Christ, pourquoi ne s’était-Il pas sauvé Lui-même ?

Ma dernière lettre, mon cher père, s’acheva sur la fin de l’interrogatoire de Jésus devant Caïphe, le Souverain Sacrificateur, qui, incapable de Le condamner pour quoi que ce soit sauf prétendre au blasphème, et n’ayant aucun pouvoir dans ses mains pour Le condamner à mort sur cette charge, résolut, en vue d’assurer infailliblement son exécution, de L’inculper devant Pilate, le Procurateur, de sédition et trahison contre César. N’eut été le fait que les Romains avaient pris le pouvoir de mort de la nation juive, Jésus aurait été lapidé à mort pour blasphème par ordre de Caïphe et du grand Sanhédrin ; mais une plus ignominieuse mort, en tant que révolutionnaire et usurpateur de la couronne de César, était en réserve pour Lui aux mains de la loi romaine.

Gardé par Aemilius, qui fut son vrai ami jusqu’à la fin, et suivi par le jaloux Caïphe, le féroce Abner, les capitaines du Temple, les scribes, les pharisiens, les sadducéens, les hérodiens, et une populace mélangée de Juifs, artisans, paysans, voleurs, mendiants et toute la  racaille de la nation qui affluent dans la ville à la saison de Pâque, Il fut conduit à la maison de Pilate.

Les portes du Prétoire étaient fermées par les gardes romains, alors que la foule tumultueuse avançait, car Pilate croyait que les Juifs étaient en insurrection, et s’était préparé pour défendre son palais ; car si peu nombreuses sont les troupes qui sont avec lui dans la ville qu’il a, pendant quelques semaines, détenu seulement le nom de pouvoir, plutôt que la réalité. Mais quand Aemilius expliqua au capitaine des gardes que ces Juifs désiraient accuser Jésus, le Nazaréen,  de sédition devant le Procurateur, il fut admis, avec les principaux hommes de la ville, dans la cour extérieure d’Antioche ; mais personne ne passa au delà de la statue de César, de peur de se souiller ; et à leur appel, Pilate vint à eux. Quand il vit la vaste multitude de gens avec Caïphe et les principaux sacrificateurs et plusieurs riches sadducéens, avec les dirigeants de Jérusalem devant, et Jésus lié et défiguré par l’outrage qu’Il avait subi, et Aemilius et ses quelques soldats L’entourant avec leurs lances protectrices, et qu’il entendit les fortes voix de la foule, semblables à celles des loups hurlant pour le sang d’un agneau sans défense, il se tint avec étonnement pendant un petit moment, embrassant la scène du regard.

“Que signifie ceci, Aemilius ?” demanda-t-il au jeune Préfet. “Qui est ce captif ?”

“C’est Jésus, appelé le Christ, mon Seigneur ; le  Prophète de Galilée. Les Juifs désirent sa mort, L’accusant de blasphémer leur Dieu ; et –

“Mais je ne suis pas concerné par leur religion ou l’adoration de leur Dieu. Qu’ils le jugent selon leur façon” dit Pilate avec indifférence et avec un air indolent.

“Mais très noble Romain” dit Caïphe, s’avançant vers le portique sur lequel se tenait le Procurateur “par notre loi, il devrait subir la mort ; et tu sais que quoique nous pouvons condamner, comme nous l’avons fait maintenant pour ce Galiléen, nous n’avons aucun pouvoir d’exécuter la sentence de mort.”

“C’est bien dit ; mais voudrais-tu que je mette à mort quelqu’un de votre nation pour avoir blasphémé votre Dieu ?  Aussi loin que ce qui est concerné, o prêtre,” ajoute Pilate, souriant dédaigneusement, “nous, Romains, le blasphémons chaque jour – car nous ne l’adorons pas et n’aurons rien à faire avec votre foi. Laisse l’homme s’en aller ! Je ne vois aucun motif de mort en lui !”

Il parla ensuite à Aemilius et désira qu’il conduisit Jésus à l’endroit où il se tenait. Alors Pilate Le regarda avec un mélange de pitié et d’intérêt. Après L’avoir regardé pendant un moment, il se tourna vers l’un de ses officiers et dit en aparté : “une forme divine, et convenable pour Appolo, ou un quelconque de ces grands dieux ! Son allure est comme un héros ! Mehercule ! les ciseaux de Praxitèle ni de Phidias n’avaient jamais tracé le contour des membres et du cou comme ceux-ci. Il est la véritable incarnation de la symétrie et de la dignité humaines.”

Les courtisans acquiescèrent de la tête à ces critiques inamicales de l’indolent et voluptueux Italien. Jésus, pendant ce temps, se tenait sans mouvement devant ses juges, ses yeux baissés et pleins d’une sainte tristesse, et ses lèvres comprimées avec une patience impassible. Pilate se tourna alors vers Lui et dit :

“Ainsi, tu es ce Jésus dont les hommes parlent si considérablement. J’ai été curieux de te voir ; et je remercie Caïphe, pour toi, pour ce privilège. Les gens disent, o Jésus, que tu es plus sage que les hommes ordinaires ; que tu peux faire des œuvres de nécromancie, et que tu es habile dans les mystères subtils de l’astrologie. Je voudrais te questionner sur ces choses. Veux-tu lire pour moi ma destinée dans les étoiles ? Si tu réponds bien, je serai ton ami et te délivrerai de tes compatriotes, qui semblent hurler pour ton sang.”

“Mon seigneur !” cria Caïphe furieusement “tu ne dois pas laisser cet homme aller ! C’est un imposteur, un traître vis à vis de César. Je le charge et l’accuse formellement, devant ton tribunal, de se faire lui-même Roi de Judée !”

A ceci, toute la foule consentit d’une profonde voix de rage et de féroce dénonciation, qui secoua les murs même du Prétoire.

“Que dis-tu ?” demanda Pilate “es-tu un roi ? Il me semble que si tu étais ainsi, ces Juifs n’auraient guère besoin de te craindre.” Et le Romain jeta un regard insouciant sur le méprisable vêtement déchiré et les membres à moitié nus du Prophète.

Avant que Jésus ne répondit, ce qu’Il sembla sur le point de faire, car ses lèvres s’ouvrirent comme s’Il allait parler, il fut entendu une soudaine agitation dans la partie basse de la cour de Gabbatha (car ainsi est appelée par les Juifs, la cour extérieure du Prétoire où ils étaient) et une forte voix enrouée fut entendue criant :

“Laissez le passage – restituez ! Il est innocent.”

Tous les yeux se tournèrent dans la direction du passage voûté, et un homme fut vu se frayant son passage vers la porte du hall du jugement, devant lequel Pilate se tenait, avec Jésus à un pas ou deux en aval de lui.

“Que veut ce fou ?” cria le Procurateur “certains d’entre vous, arrêtez-le !”

“Je ne suis pas fou – Il est innocent ! J’ai trahi le sang innocent !” cria Iscariot, car c’était lui, bondissant dans l’espace en face du portique. “Caïphe, je vous ai cherchés, les principaux sacrificateurs et toi, partout !” s’exclama-t-il en voyant le Souverain Sacrificateur.

“Reprends ton argent et laisse ce Saint Prophète de Dieu aller libre ! Je te jure par l’autel qu’Il est innocent ! et si tu Lui fais du mal, tu seras maudit par la vengeance de Jéhovah ! Reprends ton argent, car Il est innocent !”

“Qu’est-ce pour nous ? Vois-tu cela” répondit Abner, le sacrificateur, avec arrogance car Caïphe et les sacrificateurs étaient trop surpris à cette dénonciation ouverte de la corruption de Judas, pour parler ; pendant que les yeux du premier, tombant sous le regard sec du Procurateur romain, trahissaient sa culpabilité.

“Ne vas-tu pas Le relâcher si je te rends les pièces ?” cria Judas dans un accent de désespoir, tenant Caïphe par le manteau, et ensuite s’agenouillant devant lui en implorant. Mais Caïphe le repoussa avec colère ; Abner et les principaux sacrificateurs aussi le repoussèrent avec mépris, au moment où il s’approcha d’eux ! A la fin, d’une manière frénétique, il se jeta aux genoux de Jésus et cria dans l’accent le plus poignant :

“Oh, Maître ! Maître ! tu as le pouvoir ! délivre-toi toi-même !”

“Non Judas” répondit le Prophète, hochant sa tête et fixant avec compassion son traître, sans un regard de ressentiment du fait de sa trahison, “mon heure est venue ! Je ne peux pas échapper. Car pour cette heure, je suis venu dans le monde.”

“Je croyais, sûrement, que tu ne souffrirais pas d’être arrêté, quand ils te trouveraient au Mont des Oliviers, mon Maître, sinon je n’aurais jamais pris leur argent. C’est mon avarice qui t’a tué ! Oh Dieu ! Oh Dieu ! Je vois maintenant que c’est trop tard !”

Criant ainsi d’une voix de désespoir, il se leva et se lança, avec sa face cachée dans son manteau, hors de la présence de tous, la foule de gens s’écartant en hâte alors qu’il avançait parmi eux vers la sortie.

Cette extraordinaire interruption produisit un effet étonnant sur tous ceux qui étaient présents ; et quelques instants s’écoulèrent avant que Pilate ne recommence son interrogatoire de Jésus, qu’il fit en entrant dans le Hall, il répéta sa question, mais avec plus de déférence que avant : “es-tu alors un roi ?”[1]

“Tu dis ce que je suis – un roi.”[2] Répondit-Il avec une dignité réellement majestueuse dans son allure ; car tout le temps, attaché et défiguré comme Il l’était, par les mains de ses ennemis, pâle de souffrance, ayant passé une nuit terrible sans dormir, debout sur ses pieds, exposé au froid et aux insultes, Il avait cependant un air royal et il semblait flotter autour de sa tête une gloire divine, comme si un rayon solaire brillait sur Lui.

“Toi-même, tu l’entends !” s’exclama Caïphe, se tenant à l’entrée du Hall de jugement du gouverneur Gentil, dans lequel il n’entrerait pas de peur de se souiller.

“Il a aussi cherché à empêcher le peuple de payer le tribut à César !” cria Abner à travers une fenêtre ouverte ; car lui aussi ne voudrait ne voudrait pas, à cause de la fête sainte, être profané en entrant dans une maison “Gentil”.

“Il a partout publiquement proclamé qu’Il a été ordonné par Dieu de rétablir le royaume de Juda, et de renverser le pouvoir de César dans Jérusalem” ajouta le Gouverneur du Temple, élevant sa voix de manière à être entendu par dessus les voix des sacrificateurs et scribes qui, parlant tous en même temps, L’accusaient avec véhémence de plusieurs autres choses, que nous savions tous ne pas être vraies.

Pilate, à la fin, obtint un silence relatif et dit ensuite à Jésus : “Entends-tu ces accusations ? N’as-tu aucune réponse à donner ? Quelle défense as-tu, Monsieur le Prophète, ne réponds-tu pas ? Vois combien de choses ils témoignent contre toi !”[3]

Pilate parlait comme s’il avait pris un profond intérêt en Jésus, et Lui donnerait une occasion pour se défendre.

“Il a perverti la nation ; un très nocif et dangereux type !” s’exclama Caïphe. “Il est un blasphémateur, par dessus tous les hommes !”

“Je n’ai rien à faire avec votre religion. S’Il a blasphémé vos dieux, prenez-le et jugez-le selon vos lois” répondit Pilate.

“Tu sais, o noble Romain, que nous n’avons aucun pouvoir d’exécuter la sentence de mort – par conséquent, nous l’accusons devant toi.”

“Je ne suis pas Juif, prêtre ! Que m’importe vos querelles domestiques et religieuses. Il n’a rien fait que je puisse apprendre, pour lequel les lois de la Rome impériale, qui prévalent maintenant ici, peuvent Lui adjuger la mort. Par conséquent, j’ordonne son relâchement, comme n’ayant rien fait qui soit coupable de la peine capitale. Aemilius, délie ton prisonnier et laisse-le aller. Je ne trouve aucune faute en lui pour qu’il soit longtemps tenu captif.”

Sur ce, les Juifs émirent un cri de férocité mêlés de rancune. Caïphe, oubliant sa peur d’être souillé, s’avança de plusieurs pas dans le Hall du jugement et, agitant ses mains ouvertes à Pilate, il cria :

“Si tu laisses aller cet homme, tu n’es pas ami à César. Tu es de mèche avec lui. Lui qui s’établit lui-même comme un roi, dans toute les limites des terres de César, combat contre César, aussi bien à Jérusalem qu’à Rome. Si tu relâches cet homme, ma nation et moi t’accuserons à ton maître, Tibère, de favoriser la sédition de ce Galiléen. Il a incité toute la collectivité juive de la Galilée jusqu’à ce lieu, et cependant tu ne trouves rien à redire de lui !”

Quand Pilate entendit le nom de Galilée, il demanda si le prisonnier était Galiléen. Ayant été répondu par l’affirmative par le sacrificateur excité, il dit à Aemilius :

“Tiens – n’enlève pas les liens maintenant ! Hérode, le Tétrarque est venu la nuit dernière à la fête de Pâque du Dieu hébreu, et est maintenant au vieux palais de Macchabée avec sa suite. Conduis ton prisonnier à lui, et qu’Hérode juge ses propres sujets. Présente-le avec cette chevalière, en signe d’amitié. Dis-lui que je n’interfèrerai pas avec ses privilèges et que je désire qu’il prenne et juge l’homme comme s’il se trouvait dans sa propre tétrarchie.”[4]

Les principaux sacrificateurs et les scribes crièrent alors avec approbation à cette décision car ils commençaient à craindre que Pilate ne Le relâcha ; et ils savaient que le vacillant et téméraire Hérode ferait tout ce qui gagnerait l’approbation populaire.

“S’il nous envoie à Hérode avec lui” dit le sacrificateur Abner “son destin funeste est scellé – son sang est nôtre !” La foule dehors acclama la réapparition d’Aemilius, et de son captif sans résistance, du Hall de jugement et les suivit à travers le pavement en marbre de Gabbatha jusque dans le rue en criant :

“A Hérode ! Au Tétrarque de Galilée avec lui.”

“Mais Caïphe, fronçant ses sourcils et insatisfait, resta derrière ; et Pilate, content de se débarrasser de la délicate affaire de condamner un homme innocent en vue de satisfaire l’envie des Juifs, en L’envoyant à son ennemi, Hérode, sortit en souriant et parla au ténébreux Souverain Sacrificateur :

“Tu fus quelque chose de tranchant sur moi jusqu’ici, mon seigneur Caïphe. Tu sais que je ne peux condamner les hommes que pour des crimes commis contre les lois de l’Empire. Ce Jésus n’a rien fait qui mérite la mort, même s’Il comparaissait devant un tribunal dans la capitale du monde elle-même, et avec César comme son juge.”

“Noble gouverneur” répondit Caïphe, arrêtant ses pas furieux en long et en large sur le parquet en porphyre du portique extérieur “tu oublies que je l’ai amené devant toi, non seulement sur cette accusation de blasphème – mais pour sédition ! Par l’autel de Dieu ! C’est un crime connu de tes lois.

“Vrai. Tu accuses un jeune sans défense, tranquille, homme sans pouvoir, dépourvu d’argent, d’hommes ou d’armes, un obscur pêcheur ou charpentier de Galilée, d’établir un trône et un royaume contre ceux de Tibère César, le dirigeant de la terre ! L’idée est absurde. Elle ne pourrait être traitée que de ridicule. Ainsi dira Hérode quand il apprendra l’affaire”

“Ainsi ne dira pas César, mon seigneur” répondit Caïphe, avec un sourire moqueur sur ses lèvres resserrées ; “si tu laisses aller cet homme (car Hérode n’acceptera sûrement pas ta courtoisie, et ne le jugera pas dans ta juridiction) la nation juive dressera un mémorial, t’accusant à l’Empereur de protéger la trahison. Tu seras sommé par le Sénat de répondre à cette accusation ; et quoique tu réussiras à te disculper, tu auras perdu ton gouvernement, donné à un autre, et pour ton important nom, tu vivras, le reste de ta vie, sous les soupçons de César !”

Ici, le Souverain Sacrificateur, dit mon oncle Amos, qui entendit tout ce qui se passa, regarda avec une malice concentrée, dans les yeux du dirigeant Italien, qui devint pâle et se mordit les lèvres de vexation.

“Mon seigneur prêtre, tu es résolu, je vois, à la mort de cet homme innocent. Je ne suis pas Juif pour comprendre comment il s’est attiré ta terrible colère, et celle de ta nation. Il doit y avoir quelque chose que je suis incapable de comprendre. Je verrai ce que Hérode dira, lui qui, étant Juif, est familier avec vos coutumes. Mais il me semble, o prêtre, que le témoignage du malheureux que certains parmi vous corrompirent pour trahir son Maître à votre pouvoir, devrait maintenant le relâcher !”

Pilate se rassit ensuite sur son trône pour entendre d’autres plaintes. Après un laps de temps d’une demi-heure, un jeune descendit de son cheval à la porte de la cour et s’approcha du Procurateur.

“Qu’est-ce qui t’arrive, Alexandre ?” demanda Pilate en voyant du sang sur ses tempes et remarquant qu’il paraissait faible.

“Ce n’est qu’une vétille maintenant, mon bon seigneur. Je fus projeté de mon cheval, qui fut effrayé par une torche qui brûlait, couchée à terre ; et je fus retenu dans une maison hospitalière jusqu’à ce que je fus en mesure de remonter, ce qui m’amène ici en retard.”

“Et pourquoi venir du tout ? Quelle sont les nouvelles de ma loyale épouse, qu’elle t’enverrait depuis ma maison de Béthanie à cette heure matinale. Pas de mauvaises nouvelles, garçon ?”

“Aucune, mon seigneur – sauf cette note.”

Le page Grec tendit alors à son maître un petit rouleau de parchemin teinté de rose, attaché avec un fil écarlate. Il coupa le nœud avec sa dague et, en lisant le contenu, il devint d’une pâleur mortelle. Caïphe le regardait attentivement comme s’il aurait lu, reflété dans ses yeux, le contenu de la note qui l’avait si profondément ému.

“Caïphe” dit le Procurateur, “ce prisonnier doit être relâché !”

“C’est sa destruction, vaniteux romain, ou la tienne !” répondit le Souverain Sacrificateur, se retournant et s’en allant de manière arrogante.

Pilate le suivit du regard avec un air troublé, et ensuite entra de nouveau dans le Hall de Jugement et, s’asseyant de nouveau sur son trône, il lit le parchemin.

– “N’aie rien à faire avec cet homme juste” lit-il presque à haute voix “car j’ai souffert de beaucoup de choses ce jour dans un songe à cause de Lui ! Les dieux même semblent prendre le parti de cet extraordinaire jeune prisonnier.” S’exclama-t-il. [5]

“Plaise à Jupiter qu’Hérode puisse avoir assez de sens pour le relâcher, et me soulage de cette affaire déplaisante. On pourrait mieux tenir en soumission une province des Scythes peints et sauvages que ces Juifs féroces. Je serai bien débarrassé de ma charge de Procurateur ; mais je ne la perdrai pas par une accusation venant d’eux ! Je dois sauver à la fois Jésus et moi-même !”

Alors qu’il parlait encore et méditait seul, inconsciemment à haute voix, si bien que ceux qui se tenaient autour de lui, parmi lesquels était El Nathan, le frère de la dame Mirza, qui demeure dans notre maison et de qui je reçus cette portion du récit, il fut entendu un grand bruit de voix provenant du Palais des Macchabées ; et comme il se rapprochait et de venait plus distinct, Pilate tressaillit et cria : “c’est comme je craignais – Hérode ne leur a pas donné satisfaction et ils reviennent à moi ! Oh, puissent les dieux me donner la sagesse et le sang-froid pour cette heure éprouvante, afin que je ne condamne pas l’innocent, ni ne me mette moi-même entre le pouvoir d’une accusation à César, de la part de ces méchants Juifs !”

A ce moment, la foule qui s’était accrue autant que possible en nombre et en esprit de vengeance, réapparut, pressant Jésus devant elle. Cette fois, Il était seul, Aemilius ayant été séparé de Lui dans le palais et empêché par la foule de Le rejoindre. Il était délié et sur sa tête était une couronne d’épines, perçant les temps tendres de  sorte que le sang coulait partout sur sa face ; sur ses épaules était nouée une robe royale pourpre, portée autrefois par Hérode, en son état de roi subalterne ; et sa main tenait un roseau, comme un sceptre ; et pendant qu’Il avançait, les plus acharnés parmi les sacrificateurs aussi bien que les plus vils de gens ordinaires fléchissaient, avec moquerie, les genoux devant Lui, criant :

“Salut ! Roi Jésus ! Salut, Royal Nazaréen ! Toute acclamation !”

D’autres allaient devant Lui, portant des étendards moqueurs – pendant que d’autres, agissant comme des messagers, couraient en criant :

“Laissez la voie pour le Roi des Juifs ! Rendez hommage, tous les hommes, à César ! C’est le grand Tibère, empereur de Nazareth ! Voici sa couronne étincelante ! Remarquez sa robe royale, et voyez son éclatant sceptre ! Fléchissez les genoux – fléchissez les genoux, hommes de Juda, devant votre roi !”

Quand Pilate vit ce spectacle, et entendit ces paroles il trembla et on l’entendit dire :

“Ou cet homme doit périr ou c’est moi ! Ces Juifs sont devenus fous de rage et demandent un sacrifice. L’un de nous doit tomber !”

Oh, que je pourrais écrire tout ce que je ressens ; mais je suis obligée, mon cher père, de m’arrêter ici.

Ton affectueuse enfant,

Adina.

[1] Matthieu 27 :11 ; Marc 15 :2 ; Luc 23 :3 ; Jean 18 :33

[2] Matthieu 27 :11 ; Marc 15 :2 ; Luc 23 :3 ; Jean 18 :33

[3] Matthieu 27 :13 ; Marc 15 :4

[4] Luc 23 :6-7

[5] Matthieu 27 :19