Le Prince de la Maison de David- Lettre 30

LETTRE   XXX

Mon cher père,

Je ne sais comment écrire – je ne sais quoi dire ! La consternation et la peine remplissent mon cœur. Je sens comme si la vie était un fardeau trop lourd à porter ! Le désappointement et le regret sont tout ce qui me reste ! Celui en qui j’avais placé ma confiance – Celui que des milliers en Juda avaient commencé à regarder comme l’espérance de la nation – Celui qui, comme ses malheureux disciples l’espéraient, devrait avoir racheté Israël – Jésus, a été livré ce matin par le Procurateur Romain, pour être condamné à la mort et – ils L’ont crucifié.

Les larmes d’une peine indicible, tombant sur le parchemin alors que j’écris, te disent, plus éloquemment que n’importe quelle parole, combien je suis frappée par ce lourd, lourd coup ! Jésus ; le noble, doux, courtois et sage Prophète, qui enseignant avec telles grâce et sagesse, et que nous croyions être envoyé de Dieu pour être le Sauveur de notre peuple, et le Prince qui devrait s’asseoir sur le trône de David pour restaurer la première splendeur de notre nation – est mort ! Avec Lui, hélas ! a péri toute notre espérance ! Quand Il inclina sa tête blessée sur la croix, les cous de Juda s’inclinèrent une fois de plus dans la poussière pour recevoir le joug de Rome, duquel ils croyaient qu’Il les aurait délivrés. Avec Lui a été éteinte la lumière levante du soleil du Messie, que nous espérions et croyions qu’Il fut ! Mais nous n’espérons plus ! Les filles d’Israël doivent maintenant s’asseoir dans la poussière et se couvrir de voile de malheur ; car Celui en qui elles espéraient est mort ! Troublés et consternés, ses suiveurs errent dans les champs ou se cachent de la foule qui cherche leurs vies aussi. Hélas ! je ne peux pas m’empêcher de pleurer amèrement, âpres larmes. Comment le Seigneur a t-Il couvert les filles de Sion de nuages dans sa colère et jeté du ciel vers la terre la beauté d’Israël. “Tous les passants” comme  l’a dit le prophète “battront des mains sur nous, qui nous confions en Lui, et secoueront la tête contre les filles de Jérusalem[1] : est-ce l’homme – le puissant Prophète que les hommes ont appelé le Fils du Très-Haut, le Messie de Dieu – le Prince de David – l’excellence de la sagesse et la joie de la terre ? La punition de ton iniquité est accomplie, o fille de Sion !”

Ainsi je pleure et ainsi je me plains ; car une véritable peur et un piège viennent sur nous – désolation et destruction, o mon père ! Nous ne savons pas vers quelle voie vers nous tourner. Celui en qui nous avions confiance s’est avéré comme l’un de nous, faible et impotent, et a souffert la mort sans pouvoir se sauver. Lui qui sauva les autres, ne put pas échapper à la mort de la croix romaine ! Pendant que j’écris, j’entends le sacrificateur Abner, dans la cour en bas, se moquer de mon oncle Amos à haute voix :

“Votre Messie est mort ! Un célèbre grand prophète, sûrement, que vous Nazaréens avez choisi – né dans une mangeoire et crucifié comme un voleur ! N’avais-je pas dit que celui qui pouvait parler contre le Temple et la prêtrise était de Beelzebub ?”

Rabbi Amos ne répond pas ! La honte et le désespoir scellent ses lèvres ! Ainsi nos ennemis triomphent sur nous, et nous ne répondons que par la confusion de notre face. Même les disciples sont condamnés et une récompense est offerte par Caïphe pour leurs arrestations ; et tous ceux qui, il y a deux jours, étaient pleins d’espérance et fiers de s’asseoir aux pieds de Jésus ou de Le suivre partout où Il allait, craignent maintenant de confesser qu’ils L’aient connu ou déjà vu. C’est seulement le rang élevé, comme sacrificateur, de mon oncle Amos qui le protège ainsi que sa maison, de l’arrestation !

Mais, mon cher père, à qui j’ai toujours confié mes sentiments et pensées, dirons-nous de Jésus un imposteur ? Oh, Lui dont la contenance était marquée par la dignité céleste, dont les lèvres dispensèrent des vérités telles que les philosophes les plus sages et les prophètes les plus saints ont aimé, étudier et enseigner – dont la vie entière a été sans blâme et qui a vécu uniquement pour faire le bien – peut-Il être, doit-Il être considéré comme un imposteur ? Quand je me rappelle le malade qu’Il a guéri, l’indigent qu’Il a soulagé, les pleureurs qu’Il a consolés, l’ignorance qu’Il a éclairée, le mort qu’Il a ressuscité, les vérités sublimes qu’Il a enseignées, son amour de Dieu, son respect pour l’adoration du Temple, la parfaite moralité de sa vie quotidienne, la sincérité de tout ce qu’Il disait et la sympathie universelle qui semblait le remplir pour tous ceux qui étaient dans la peine – je ne peux pas, oh, je ne peux pas amener ma plume à écrire le mot “imposteur” en association avec son nom. Mais que remplacerai-je ? Hélas ! je me sens désolée et misérable comme ceux qui, confiant tous les trésors de leur cœur sous la garde d’un autre qu’ils croient bon et vrai, trouvent qu’il était indigne de leur confiance et qu’il a trahi celle-ci. Jésus affirmait qu’Il était venu sur terre pour établir un royaume et s’asseoir sur le trône de David et que toutes les nations allaient, à travers Lui, recevoir les lois de Jérusalem. Où alors est son pouvoir ? Où est son trône ? Où sont ses lois ? Son pouvoir a pris fin dans la mort ! Son trône est la croix romaine, placée entre des voleurs ; et les lois romaines ou plutôt pouvoir, qu’Il devait détruire, L’ont condamné Lui-même à la mort !

Ce résultat inattendu, non recherché, qui fait tressaillir, m’a stupéfaite ! – et non seulement moi, mais tous ceux qui ont été ainsi conduits par la fascination pour se confier en Lui. Même Jean, le bien-amé  disciple, que j’entends maintenant passer sur le parquet de la chambre adjacente, sanglotant comme passer si son noble cœur allait éclater. Marie, ma cousine, dont je capte de temps en temps la douce voix, essaye de l’apaiser quoique elle soit très affligée, comme nous tous ; car elle avait confiance en Jésus, même avec plus de foi que moi ; et pour cette raison, sa consternation à sa mort, à la fin soudaine de tous ses espoirs en Lui, et de sa restauration d’Israël, est en proportion. Nous avons pleuré cette nuit dans les bras l’une de l’autre jusqu’à ne plus avoir de larmes à verser ; et je l’ai quittée pour prendre ma plume et te faire connaître ma peine. Le malheureux Jean, que j’entends, lui répond désespérément :

“N’essaie pas de me consoler Marie ! Il n’y a pas lieu d’espérer encore ! Il est mort – mort ! Tout est perdu ! Nous qui espérions en Lui, n’avons plus qu’à fuir, si nous voudrions sauver nos malheureuses vies, en Galilée et retourner encore une fois à nos filets ! Le soleil qui a brillé de façon si éclatante s’est avéré une lumière fantôme et est allé dans les ténèbres. Celui que je ne pouvais qu’aimer, je vois que j’ai aimé trop fort, ne s’est pas avéré ce que je Le croyait être. Oh, comment pouvait-Il être tellement comme le Fils de Dieu et cependant ne pas l’être ? Pourtant je L’ai aimé et adoré comme s’Il fut le véritable Fils du Très Haut ! Mais je L’ai vu mourir comme un homme – j’ai observé son corps sans vie ! J’ai vu les plaies profondes faites à son cœur même par la lance romaine ! Je me suis jeté sur Lui quand Il fut descendu de la croix, et L’ai imploré pour donner, à cause de son amour pour moi, un certain signe qu’Il n’était pas tenu par la mort ! J’ai placé mes mains tremblantes sur son cœur. Il était calme, calme – sans mouvement comme une pierre, comme celui de tout autre mort ! La chair de son corps était froide et moite ! Il était mort – mort ! Avec Lui toutes nos espérances – les espérances d’Israël !”

“Il peut vivre de nouveau” dit Marie, doucement et avec hésitation, comme si elle-même n’avait pas une telle espérance. “Il ressuscita Lazare, tu te rappelles !”

“Oui, car Jésus vivait pour faire cela” répond Jean arrêtant sa marche “mais comment le mort peut-il ressusciter le mort ? Non, Il ne bougera plus jamais, ni ne parlera, ne respirera de nouveau.”

Ainsi, cher père, sommes-nous restés pleurer avec honte à notre illusion et avec des espérances complètement naufragées. Je reconnais franchement que j’ai été trop pressée de confesser Jésus comme le Messie de Dieu ; mais, oh, que pouvais-je faire sinon croire en quelqu’un qui paraissait si semblable à un ange du ciel – un Prince céleste ! Il y a un terrible et profond mystère dans tout cela. Jusqu’à la fin, nous croyions qu’Il se libérerait et échapperait à la mort ! Hélas, à cause de nos péchés, Dieu a permis que ce grand désappointement vienne sur nous tous.

J’essaie de chercher quelque consolation en me rappelant tout ce qu’Il fut, bon et saint ; mais cette rétrospective seulement assombrit le nuage du présent car irrésistiblement j’argumente ; comment pouvait-Il, Lui qui fut si bon, s’avérer un imposteur ? Je vis et respire pendant que Lui, qui m’enseigna qu’Il avait la vie en Lui-même, et que je croyais pouvoir me ressusciter de la mort, si je mourais, Il est Lui-même couché dans la tombe ; et cependant je vis ! Lui, sur qui nous croyons naïvement que la mort ne pouvait avoir aucun pouvoir, puisque les portes des sépulcres s’ouvrirent à sa voix et laissèrent leurs captifs vivants de nouveau, a été conquis par la mort et s’est avéré n’être que le fils mortel de Joseph et de la veuve Marie. Cette dernière est inconsolable ! Sa détresse est déchirante à voir. Non seulement elle a perdu son fils unique, au tour duquel était toute sa sympathie maternelle, comme la plante grimpante encercle le haut palmier, mais elle semble humiliée dans la boue même de la honte qu’Il soit mort, laissant des milliers, qui se confièrent en sa parole, fugitifs à cause de son nom et désappointés dans tout ce qu’ils attendaient de Lui. Même maintenant, j’entends ses profonds soupirs, de la couche où elle est étendue, le cœur brisé, dans la chambre de ma tante, vers laquelle Jean la conduisit après l’exécution de Jésus, à la demande de ce dernier. Elle demande d’être laissée seule, et j’oublie mes propres peines quand je penses aux siennes qui sont plus grandes que ce qu’elle peut porter ; car son fils a été, tout d’un coup, descendu de la position dans laquelle Il attirait tous les yeux après Lui et est mort d’une mort  ignominieuse, laissant derrière Lui le stigmate de la réputation d’un imposteur. Ceci perce son cœur plus douloureusement que le fait d’avoir perdu son enfant. “Oh” je l’entendis dire à Rabbi Amos quand elle vint à la maison “oh, pouvait-Il m’avoir trompée ainsi – Lui que je croyais être l’âme de la vérité ? Hélas ! mon fils – mon fils – le mieux aurait été de rester dans ton humble atelier, menant une vie humble et utile plutôt que, pour la popularité temporaire du nom d’un prophète, de donner des espoirs et des promesses à tes suiveurs, que tu ne pouvais jamais réaliser, et de rencontrer une telle mort ! Ceci a blessé mon cœur, réellement ! Mes cheveux gris vont descendre dans la tombe avec honte, que je suis la mère de Celui qui a induit Israël en erreur ! Pourtant, j’espérais de grandes choses de Lui, plus que de tous les fils des hommes !”

Mais je ne demeurerai pas sur cette peine universelle – peine mêlée de mortification – car la fierté de tous a été humiliée jusque dans la poussière. Je te donnerai un description, cher père, de ce qui se passa après l’arrestation ; car je souhaite que tu sois au courant de chaque détail Le concernant, afin que tu puisses voir comment parfaitement Il soutint le caractère élevé qui attira tous les hommes après Lui, jusqu’à la fin – se tenant devant ses juges comme un homme sublime dans la conscience d’innocence et inspirant même le respect involontaire et l’admiration de ses ennemis. Oh, comment pouvait-Il avoir été un imposteur ? Cependant, il est mort, et en ce  pour lequel Il est mort, n’a t-Il pas failli dans toutes les glorieuses choses qu’Il promit Le concernant ? “Sa mort” a dit son disciple Pierre, qui était ici cette nuit pour demander à Jean ce qui devait être fait par eux “sa mort enterre pour toujours nos espoirs.”

Mais je ne retarderai pas davantage le récit de son jugement et sa condamnation, car tu seras curieux de savoir comment un tel homme put être condamné à mourir comme un malfaiteur ! Dans ma dernière lettre, j’ai parlé de son arrestation, à travers la traîtrise commise par Judas. Conduit par ses ravisseurs, liés par les poignets au moyen d’une corde, Il fut emmené du sombre bosquet du Mont des Oliviers, où Il fut trouvé en prière, et conduit avec grand bruit dans la ville par la porte de César. C’est près de cette entrée que vit Rabbi Amos. C’était la troisième heure de la nuit et je venais d’aller dans ma chambre, qui a vue sur la rue des rois, quand les cris soudain des hommes féroces, brisant le silence de la nuit, me firent sursauter. Alors, j’entendis les rapides interpellations des sentinelles romaines, la galopade de  plusieurs cavaliers et un tumulte confus, les cris pendant ce temps augmentant. Mais je vais te recopier le récit de ma cousine Marie à Marthe, de Béthanie, juste ce qu’elle a écrit, sans rien ajouter de plus de ma part.

“Je sortis sur la basilique qui donne vue sur la rue” dit Marie dans sa lettre “et vis une foule avançant avec des torches luisantes ; et aussitôt ils vinrent en opposé de la maison, au moins deux cent personnes en nombre, à moitié habillées et ayant un regard sauvage, avec des yeux luisants et l’aspect menaçant. Ici et là, parmi eux, il y avait un lévite les incitant, et je vis Abner le sacrificateur, attisant leurs passions par une forte éloquence et de vives gesticulations. Derrière chevauchaient cinq cavaliers romains, avec des lances braquées, gardant un jeune homme, qui marchait devant les têtes de leurs chevaux. C’était Jésus ! Ses cheveux étaient ébouriffés, sa barbe arrachée, sa face défaite et ses vêtements déchirés. Il était pâle et souffrait, cependant marchait à pas ferme. Je fondis en larmes, et de même fit Adina, qui était sortie pour voir ce qui se passait. Il leva les yeux et dit de façon touchante : ‘Ne pleurez pas pour moi’.

“Il aurait dit plus, mais le sacrificateur le frappa rudement sur la bouche et la foule, suivant son exemple, Lui aurait fait subir davantage d’affront n’eut été les soldats romains, qui tournaient leurs lances de tout côté pour Le protéger de la violence ; car ils L’avaient secouru de la terrible rage des Juifs sur ordre de leur Centurion, et furent commandé de L’emmener en sécurité devant Pilate. Ainsi, gardé et escorté par des hommes qui avaient soif de son sang, Il fut conduit au Prétoire où résidait le Procurateur romain. Graduellement, toute la foule, cavaliers, Juifs, sacrificateurs, porteurs des torches, le captifs sans résistance, disparurent dans la distance et le silence, un terrible et surnaturel silence, succéda. Je me tournai et regardai la face d’Adina. Elle était appuyée, blafarde comme le marbre, contre une des colonnes de la basilique.

“ ‘Qu’est-ce que tout ceci peut signifier ?’ dit-elle avec émotion “Peut-il être possible qu’Il ait accepté Lui-même d’être pris – Lui qui pouvait détruire ou faire vivre par une parole ? Que signifie cette terrible scène que nous venons de voir ?’

“Je ne put pas répondre. C’était inexplicable, incompréhensible pour moi. Tout ce que je savais était ce que mes yeux venaient de voir, que Jésus, notre Prophète, notre Roi, notre Messie, sur qui reposaient tous nos espoirs et la joie d’Israël, était traîné comme prisonnier à travers les rues, impuissant et sans une aide. Je tremblais avec, je ne sais quoi, un pressentiment inconnu. Soudainement, Adina s’écria :

“ ‘On ne peut pas Lui faire du tort ! Il ne peut mas mourir ! Il est un puissant Prophète et a le pouvoir qui va frapper ses ennemis de mort ! Ne craignons rien. Il s’est rendu Lui-même, uniquement pour battre plus terriblement et détruire ses ennemis. Nous ne craindrons pas ce que Pilate ou les prêtres feront ! Ils ne peuvent pas nuie au Schilo oint du Seigneur !’

“Pendant que nous parlions encore, Marthe chérie, une silhouette sombre passa comme un voleur sous la basilique et sembla se cacher dans l’ombre de la maison. A ce moment, mon père, Rabbi Amos, ouvrit la porte extérieure, avec une torche dans sa main, pour suivre, à notre demande, la foule des gens et voir ce qui arriverait à Jésus. La lumière luisit pleinement sur la grande, maigre forme de Pierre, le pêcheur galiléen. Les sombres, sévères traits avaient une expression de sérieuse anxiété.

“ ‘Est-ce toi Pierre ?’s’exclama mon père. ‘Qu’est-ce que tout ceci ? Qui a ordonné l’arrestation de Jésus ? Qu’a t-Il fait ?’

“ ‘C’est odieux et jaloux homme, Caïphe, cherche à Le détruire et a corrompu avec de larges appâts d’or, les Juifs les plus vils pour faire cette chose. Viens avec moi Rabbi et mourons avec Lui. Et le Galiléen se pressa ardemment à un pas que mon père ne pouvait pas suivre.

“Et c’était il y a une heure, et aucune nouvelle n’est encore venue du Prétoire ; mais de temps en temps, un terrible cri venant de la colline où se trouve le palais de Caïphe parvient à mes oreilles ; et l’éclat aveuglant des torches invisibles illumine la haute atmosphère par dessus les tours du palais. C’est une terrible nuit d’agonie et de suspense. Adina a aussi commencé une lettre à son père, relatant ces tristes choses mais elle laisse tomber sa plume pour aller au balcon au moindre bruit. Quand cette terrible nuit finira t-elle ? Que révélera le matin ? Adina est confiante que rien ne peut arriver au Saint Prophète, car Lui qui put ressusciter ton frère Lazare de la mort ne peut pas craindre la mort. En outre, n’a t-Il pas promis qu’Il est venu de Dieu pour être roi d’Israël ? S’Il entre dans le Prétoire comme un captif lié cette nuit, ce sera pour s’asseoir demain sur le trône romain qui s’y trouve, avec Pilate enchaîné à ses pieds ! J’écris ceci pour te l’envoyer par Elec à l’aube, afin que Lazare et toi vous dépêchiez de venir à nous dans la ville.

“Ca fait une heure depuis que j’ai écrit la dernière ligne. L’intervalle a été celui de l’agonie. Les rumeurs nous sont parvenues selon lesquelles, les prêtres insistent auprès de Pilate pour qu’il applique la sentence de mort sur le Prophète. Les cris ‘crucifiez-le ! crucifiez-le !’ ont distinctement atteint nos oreilles. Jean est maintenant ici. Environ une demi-heure après que Jésus soit passé, il est venu à notre maison presque destitué de vêtements, ses habits lui ayant été arrachés par les Juifs, dans leurs efforts de faire de lui un prisonnier aussi. Il est calme et confiant, disant que son Maître bien-aimé ne peut pas être outragé par eux ; et que avant plusieurs heures, Il se libérera des ses ennemis et se proclamera Lui-même roi d’Israël, avec un pouvoir tel qu’un homme n’a jamais eu auparavant ! Puisse le Dieu de Jacob Le défendre ! Jean vient de se rendre au Temple pour prendre des nouvelles, déguisé en sacrificateur, portant la robe de mon père. Je tremble de peur qu’il ne soit découvert et pris ; car les Juifs sont acharnés aussi bien contre les suiveurs que contre leur Maître.

Je venais de voir un messager passer à grande hâte le long de la rue ; et son cheval tombant, l’avait projeté presque à notre porte. C’était le page Aemilius,,  le noble chevalier romain qui est fiancé à ma cousine Adina. Elle s’était dépêchée pour l’aider. N’étant qu’étourdi, il fut aussitôt en mesure de parler ; il portait un message venant de Lucia Metella, la loyale et jeune épouse de Pilate, le conseillant vivement de ne rien avoir à faire avec le Prophète mais de Lui donner sa liberté ; car elle venait juste de sortir d’un impressionnant rêve dans lequel elle Le vit assis sur le trône de l’univers, couronné des étoiles du ciel, la terre comme marchepied sous ses pieds, et toutes les nations assemblées, et Lui rendant hommage, pendant que les dieux et déesses de l’Olympe jetaient leurs couronnes étincelantes et leurs sceptres à ses pieds, L’acclamant Dieu !

“Tel fut le récit fait par le page à Adina ; et remontant sur son cheval, il poursuivit rapidement son chemin vers le Prétoire. Ce rapport du page a rempli nos cœurs de joie et d’espoir inexprimable. Confiantes que Jésus est le Fils de Dieu, nous ne craindrons pas ce que l’homme peut Lui faire.

“Il est maintenant trois heures après minuit et l’aube est glacial et froid, si bien que je ne peux plus tenir ma plume. J’enverrai ceci aussitôt quel les portes de la ville sont ouvertes. Viens aussitôt pour notre consolation ; car ce n’est  pas le moment pour les amis de Jésus d’être hors de Jérusalem.

“Mon père est rentré. Il fait jour. Il dit que rien ne peut sauver Jésus sauf son propre pouvoir divin. Les Juifs sont plusieurs milliers en nombre et réclament son sang. Pilate n’a qu’une cohorte de soldats et craint d’utiliser la force, de peur que les gens exaspérés n’entrent dans la révolte et ne prennent la ville de ses mains, ce qu’ils peuvent faire facilement s’ils s’unissent. ‘Il tremble’ dit mon père ‘entre la peur de condamner l’innocent et la terreur de la vengeance des Juifs, s’il Le laisse partir. Rien ne peut sauver le Prophète sauf son propre puissant pouvoir d’opérer le miracle. Lui qui a sauvé les autres, se sauvera sûrement Lui-même.’

“Pendant que mon père parlait, un homme se précipita dans notre présence ! Il était vil en stature, large de poitrine avec une barbe drue et rousse, de petits yeux et un visage saillant et déplaisant. Sa parure était dépenaillée et médiocre comme tout son aspect. Il tenait sans sa main droite une petite bourse qui tintait de pièces de monnaie, alors que sa main agitée la tenait. Il tremblait de tous ses membres et, saisissant mon père par le bras avec l’empoigne rapide et nerveuse qu’un lunatique, il cria d’une voix rauque :

“ ‘Va-t-Il les laisser ! va-t-Il ! va-t-Il ?’

“ ‘Va-t-Il quoi, Iscariot ? De qui parles-tu ? Es-tu fou ? Tu devrais te sentir bien après ton acte cette nuit.’

“ ‘Va-t-Il les laisser Le tuer ? Va-t-Il mourir ? Va-t-Il mourir ? Penses-tu qu’Il va échapper ? Il peut s’Il le veut les cordes, pour Lui, sont des cordes de sable !’

“ ‘Non, non – Il a les mains et les pieds liés’ répondit mon père tristement. ‘Il ne se défend pas ! Je crains qu’Il les laissera faire comme ils veulent avec Lui. Il ne fait aucun effort pour sauver sa vie’.

“A ceci, Judas, car c’était ce méchant homme, se frappa le front d’une manière frénétique, avec la bourse d’argent et, avec un regard d’horrible désespoir, il se précipita en avant en criant alors qu’il partait :

“ ‘Je Le sauverai ! Les sacrificateurs reprendront leur argent. Il ne moura pas ! Si j’avais su qu’Il ne ferait pas quelque miracle pour leur échapper, je ne L’aurais pas vendu. J’espérais avoir leur argent et avais confiance que s’ils L’arrêtaient, Il s’échapperait par son propre pouvoir. Il ne m’était pas venu à l’idée qu’Il ne l’exercerait pas pour se sauver Lui-même. Je te sauverai, innocent homme de Dieu, car moi seul, je suis coupable, non toi. Oh, si j’avais suspecté ceci – mais Il ne mourra pas !’

“Avec ces paroles extravagantes, il disparut vers le Prétoire, nous laissant tous étonnés par ce que nous avions entendu.

“ ‘Oui’ dit mon père ‘je vois maintenant. Judas espérait se procurer l’argent et duper les principaux sacrificateurs, comptant sur le pouvoir divin du Prophète pour échapper de leurs mains. Voyez la force de la conscience ! Il est maintenant hors de lui avec l’horreur et le remord ; car il sait bien que Celui qu’il a trahi est un homme de Dieu, sans péché ni culpabilité !’

“Le soleil s’est levé. Le sort de Jésus est scellé. Le Procurateur a signé la sentence de mort, et Il doit être crucifié aujourd’hui. Mais, avec Judas, je crois qu’Il ne peut pas mourir, et qu’Il va marquer l’heure par quelque merveilleux miracle de délivrance personnelle. Ainsi, tremblant, nous espérons et attendons.”

Ici s’achève, mon cher père, ce que ma cousine a écrit à Marthe et Lazare, et comme c’est vraiment détaillé, prière de le recevoir comme si ce fut écrit par moi-même ; car pendant la nuit j’étais si déconcertée pour écrire avec le même sang – froid qu’elle. Mais maintenant que tout est fini —  maintenant que Jésus repose mort dans la tombe et est pour toujours au repos – j’ai été en mesure de reprendre, avec tristesse, ma plume.

Dans ma prochaine lettre, je te donnerai le récit de son jugement, comme il m’a été relaté par mon oncle Amos et par Jean, l’un de ceux qui furent présents jusqu’à la fin. Ce soir, j’irai voir le sépulcre où ils L’ont mis ; car quoique Il ait, dans sa mort,  si gravement anéanti tous nos espoirs en Lui et prouvé qu’Il n’était pas ce que nous Le croyions être, mon cœur et mes affections, cependant, planent autour de sa mémoire et, irrésistiblement, attirent mes pas vers son dernier lieu de repos. Bien que nous soyons déçus, je ne peux pas blâmer sa mémoire. Oh, non ! je ne peux pas – mais je n’ose pas tenter moi-même de dire tout ce que je sens. Je souhaite seulement pouvoir L’oublier pour toujours, comme je regrette d’avoir toujours essayé de te convaincre qu’Il était le Schilo des Prophètes. Cependant, jamais un homme n’a parlé comme cet homme, mon cher père ! Et si le Schilo, en vérité, vient, peut-Il faire de plus grandes œuvre que Lui ? Dans toutes choses, Il était le Fils de Dieu, sauf dans sa mort ! Cet événement ruine toutes nos espérances et notre foi en Lui comme le Christ.

Ta triste mais affectueuse fille,

Adina.

[1] Lamentations 2 :15