Lettre XXV
Mon cher et honoré père,
C’est avec l’émotion d’une profonde peine que je te communique la triste nouvelle de la mort de Lazare. C’est au milieu de sourds bruits de gémissements plaintifs de ses sœurs affligées sur sa forme sans vie et avec mes larmes aveuglant presque mes yeux pleins à déborder, que je t’écris. La main du Seigneur s’est abattue lourdement sur cette maison et a frappé son soutien, abattu le chêne autour duquel s’accrochaient, semblables aux vignes, ces sœurs par leur dépendance envers lui et leur confiance dans sa sagesse et son amour. Maintenant, prostrées dans la poussière, elles sont étendues, abattues par le soudain et mystérieux coup de la providence de Dieu.
Je t’ai parlé du noble caractère de Lazare dans une précédente lettre, cher père ; comment en écrivant dans la salle des scribes dans le Temple, il avait soutenu sa vénérable mère et ses sœurs, pendant qu’elles, dans leur affection, faisaient avec l’aiguille le travail de broderie, dans lequel elles avaient une très délicate adresse, en vue d’alléger ses labeurs. Aux jeunes hommes d’Israël, Lazare était cité par les Anciens, comme un modèle de vertu filiale et fraternelle et l’honnête assiduité ; et vers ses sœurs, Marie et Marthe, les autres filles étaient dirigées pour tirer des exemple de piété et de diligente tenue de maison. Leur humble demeure était la maison d’hospitalité et gentillesse et là le Prophète de Dieu, Jésus, aime séjourner dans son labeur le lui permet. De presque même âge, une sainte amitié était née entre lui et Lazare, qui aimait tant le Béni Oint de Dieu, qu’il aurait volontiers donné sa vie pour Lui.
Je t’ai raconté, cher père, quelle heureuse maison j’ai vue quand Jésus complétait le nombre ; car Il restait tellement avec eux quand Il ne prêchait pas, ou souhaitait se reposer un jour ou deux de son travail épuisant, qu’ils vinrent à Le considérer comme l’un de leur famille. Marie concevait les moyens de L’honorer, et de montrer son respect et son affection en Lui confectionnant des couvertures en soie pour les Livres des Prophètes que Lazare recopiait et présentait à son bien-aimé ami ; pendant que Marthe semblait toujours penser quoi apprêter et comment, pour son confort, et approvisionnait des mets délicats pour sa table. Mais, Jésus pouvait ainsi trouver des auditeurs à ses paroles de vérité et de sagesse, comme Marie – qui aimait s’asseoir à ses pieds et entendre le langage d’or tomber de ses lèvres sacrées – qu’Il ne pensait pas aux viandes ni aux boissons.
Un jour, pendant que Marie, Lazare et moi écoutions ses enseignements célestes, ravis dans un merveilleux et absorbant intérêt, Marthe, qui préparait le repas, vint et désira que Marie aille l’aider ; mais la chère, pieuse fille ne fit pas attention à elle, ni de l’écouta, se nourrissant, oublieuse de toute chose, de la céleste nourriture qui tombait des lèvres de Jésus, qui nous parlait du royaume de Dieu et de la gloire du ciel, et de la nécessité de la sainteté pour y entrer et y demeurer. A la fin, Marthe trouvant que Marie ne l’écoutait pas, fit appel à Jésus, en disant quelque chose rudement :
“Seigneur, cela ne te fait-il rien que ma sœur me laisse seule pour servir ? Dis-lui donc de m’aider.”[1]
Nous nous retournâmes avec surprise pour l’écouter. Elle qui, d’habitude, était si douce et si bien, oublier ainsi ce qui était dû à la présence du Prophète ! Et Lazare était sur le pont de parler et d’exécuter sa sœur, qui semblait comme si elle était beaucoup plus inquiétée par ses problèmes domestiques, quand Jésus lui dit gentiment :
“Marthe, Marthe, tu te tracasses pour beaucoup de choses ; ta maison prend trop de ton temps et de tes pensées. Dans ce monde, il n’y a qu’un souci qui est réellement digne d’être pris en considération par les hommes, qui doit fournir la subsistance nécessaire pour l’âme ; car le corps périt. Marie a choisi plus sagement que toi. Pendant que tu te soucies beaucoup pour les désirs du corps, elle se soucie de ceux de l’esprit, et ainsi elle a cette bonne part qui ne lui sera pas ôtée. Ne penses pas, belle-aimée Marthe, à une vie somptueuse pour moi, qui n’ai pas de biens terrestres, ni même où reposer ma tête ![2]
“Ne parle pas ainsi, oh, ne parle pas ainsi, cher Seigneur” s’écria Marthe soudainement fondant en larmes à ces paroles de Jésus et se jetant impulsivement à ses pieds ; “cette maison est ta maison – à tout jamais, sous son toit, pendant que j’en ai un au dessus de moi, tu auras où reposer ta tête ; ne parle pas ainsi mon Seigneur !”
Nous fûmes tous émus par le pathétique sérieux de Marthe. Jésus la mit debout et dit doucement :
“C’est ton amour pour moi, je sais bien, qui te rend attentive et si troublée pour pouvoir pour moi selon ta générosité. Mais j’ai de la viande à manger que tu ne connais pas. Enseigner les vérités de Dieu, comme tu m’as trouvé en train de le faire, est pour moi de la viande et de la boisson, car en cela je fais la volonté de mon Père qui m’a envoyé.”
J’ai été circonstanciée en te donnant, cher père, ces détails des relations domestiques existant dans la demeure de Lazare, de la douce amitié qu’ils avaient envers Jésus et de son intime et fraternel amour pour eux. Tu peux alors comprendre pourquoi, quand Lazare est tombé malade après ses laborieuses veilles pour recopier les manuscrits pour le Centurion Romain, le message fut aussitôt envoyé à Jésus, qui était à Béthanie, au delà du Jourdain. Car un médecin de Jérusalem, que le noble Caïphe avait envoyé à Béthanie en apprenant la soudaine maladie du jeune secrétaire, à qui il était très attaché – tous les gens qui le connaissaient, l’aimaient – avait dit que Lazare était en danger d’une mort subite suite à une hémorragie interne des poumons.
“Pourquoi alors” pourrais-tu demander, cher père, “enverraient-elles appeler Jésus alors que la mort était certaine. Jésus” ajouterais-tu “n’était pas un médecin, ou s’Il l’avait été, Il ne pouvait pas reverser le sort du jeune homme mourant !”
Le fait, cher père, que dans ces circonstances, elles envoyèrent appeler Jésus pour venir et le guérir, montre que ce n’était pas comme un médecin humain qu’elles désiraient sa présence, mais comme un Prophète de Dieu opérant des miracles ! Ca prouve et te prouveras, j’ai confiance, cher père, elles qui connaissaient mieux son pouvoir et qui se rappelaient le merveilleux miracle à Naïn, croyaient assurément qu’Il pouvait sauver leur frère. C’est ceux qui sont les plus intimes avec les autres qui les connaissent mieux. Or, que les sœurs de Lazare aient envoyé un message à Jésus pour s’interposer entre la mort et sa vie, est l’évidence qu’elles croyaient clairement qu’Il avait non seulement le pouvoir des miracles, mais celui de prévenir la mort ; et elles avaient vu suffisamment des exemples de son pouvoir pour leur donner la foi dans sa capacité de sauver leur frère, pendant qu’elles savaient que son amour pour lui allait certainement Le pousser à l’exercer.
Ma dernière lettre s’acheva par l’information du départ du messager. Après qu’il fut sorti de la vue à partir de la porte, et que le dernier écho des sabots de son cheval eut cessé d’être entendu par les oreilles attentives de sa sœur Marthe, j’entrai de nouveau dans la chambre où Lazare était couché. Il était aussi blanc que le marbre. Ses larges yeux noirs semblaient être deux fois plus grands que d’habitude et brillants. Il respirait avec difficulté et, chaque instant, il était obligé d’avoir sa tête soulevée en vue de libérer sa bouche du sang jaillissant qui bouillonnait constamment des fontaines brisées de sa vie. Le tendre privilège de Marie, assistée par Rachel, était de lui rendre ce service d’amour. Au moment où elle se pencha par dessus lui, regardant avec une anxieuse tendresse sa pâle, intellectuelle face, observant chaque ombre de changement que les ailes zibelines de la mort avançant opérait sur elle, je pensais que je n’avais jamais regardé un plus ravissant être ! Qui, en voyant la séraphique beauté de sa face, la brillante lumière de ses yeux sombres, qui brillaient maintenant avec la peine d’une sœur, la gracieuse expression de sa fière tête, semblable à celle de Rebecca, et le superbe profil de sa figure, où l’amour et la majesté semblaient se mélanger pour façonner une seconde Eve – qui, en admiration de sa personne, pouvait autrement que l’admirer et l’aimer ? J’oubliais pour l’instant le jeune homme mourant autour de la forme duquel ses bras blancs comme neige étaient entrelacées, sa tête appuyée sur sa poitrine, ses tresses noires bronzées avec la lumière changeante, tous non attachés et flottant par dessus lui et au dessus de son oreiller, comme un riche voile constitué par un mélange de fibres de soie de zibeline et de fils d’or. C’était un pur acte d’adoration reconnaissante pour la restauration de leur frère et d’un saint amour pour les bénédictions conférés sur elle-même.
J’ai commencé cette lettre en t’informant du départ du bon, généreux et pieux Lazare. Il s’endormit dans la mort comme un enfant s’endort dans les bras de sa mère, s’enfonçant graduellement de la perte du sang et faiblissant de plus en plus jusqu’à ce que ses yeux se ferment lourdement au moment où son pouls cessa de battre et son noble cœur, ne palpitant plus comme un oiseau s’échappant sous la légère pression de la main, fut un repos !
L’appel à Jésus fut fait trop tard ! Demain aura lieu son enterrement. Hélas ! Comment soudainement a péri le plus noble jeune homme en Judée !
Adieu, cher père ! Mon cœur est plein ; je ne peux pas, maintenant, écrire plus. Après demain, je retournerai à Jérusalem, où je t’écrirai de nouveau. Tu as dit dans ta dernière lettre que tu quitterais bientôt l’Egypte pour la Judée, dans le but de me ramener à ma chère vallée du Nil. Que le Dieu d’Abraham te préserve dans ton voyage et t’emmène en sûreté à l’étreinte de ton affectueuse fille.
Adina
[1] Luc 10 :40
[2] Luc 10 :41,42